C’est une véritable épée de Damoclès qui plane sur un flux financier stratégique estimé à 130 milliards de dirhams. La directive européenne encadrant l’activité des banques non-européennes, adoptée en juin 2024 et applicable dès le 1er janvier 2026, menace de restreindre, voire d’asphyxier, les filiales bancaires marocaines opérant sur le Vieux Continent. En jeu : la continuité des services financiers essentiels destinés aux Marocains résidant à l’étranger (MRE) et, au-delà, l’un des piliers de l’équilibre macroéconomique du Royaume.
Face à l’urgence, Abdellatif Jouahri a choisi la voie du pragmatisme. Lors de la réunion trimestrielle du Conseil de Bank Al-Maghrib, tenue ce mardi 16 décembre 2025, le Wali a confirmé qu’un accord “positif” a été finalisé avec la France. « Du côté français, c’est positif », a-t-il affirmé, soulignant le rôle central de l’Hexagone, qui concentre à lui seul plus de 30 % des transferts des MRE. Paris devient ainsi un laboratoire diplomatique pour Rabat.
Mais l’essentiel reste à venir. L’accord bilatéral doit désormais obtenir le feu vert de la Commission européenne. Cette validation est cruciale : elle permettra de transformer le compromis franco-marocain en référence européenne, ouvrant la voie à des négociations similaires avec l’Espagne, l’Italie, la Belgique ou encore les Pays-Bas, autres pays clés de la diaspora marocaine.
Le compte à rebours est enclenché. Conçue initialement pour gérer les conséquences du Brexit, la directive européenne pourrait, par effet collatéral, interdire aux banques non-européennes d’offrir des services de base — comptes, épargne, transferts — sur le sol de l’UE. Une rupture qui fragiliserait un canal financier vital reliant des millions de familles marocaines à leur pays d’origine.
La prudence reste donc de mise. Si le climat politique est jugé favorable, Abdellatif Jouahri insiste sur la technicité juridique du dossier. Chaque mot de l’accord doit être verrouillé afin d’éviter, à l’avenir, toute interprétation restrictive par les régulateurs européens. L’enjeu est de sécuriser une manne appelée à atteindre 130 milliards de dirhams d’ici 2027.
Car cette solidarité financière ne faiblit pas, bien au contraire. Les dernières données d’Eurostat confirment le rôle central de la diaspora marocaine. En 2024, les transferts depuis l’Europe ont atteint des niveaux record. La France arrive largement en tête avec 3,4 milliards d’euros envoyés vers le Maroc, soit plus de 36 milliards de dirhams, représentant le plus important flux sortant de l’Hexagone vers un pays hors UE. L’Espagne suit avec 1,5 milliard d’euros, dans un contexte où 92 % des fonds transférés depuis le pays ibérique sont destinés à des économies extra-européennes, majoritairement marocaines.
Dans une Union européenne où les transferts personnels vers le reste du monde ont dépassé 52 milliards d’euros, en hausse de 51 % sur cinq ans, le corridor France–Maroc demeure l’une des artères financières les plus vitales du bassin méditerranéen. Un flux que le Royaume entend protéger à tout prix.










Contactez Nous