Le marché marocain du poulet de chair traverse une zone de turbulence prolongée. Depuis près de cinq ans, les prix affichent des fluctuations notables, alternant hausses et baisses, mais s’inscrivant globalement dans une tendance haussière constante. Cette instabilité ne fait pas que perturber les consommateurs : elle étrangle littéralement les petits et moyens éleveurs, qui peinent à couvrir leurs coûts de production face à une rentabilité en berne.
Offre, demande et déséquilibre permanent
Le facteur principal de variation reste la loi de l’offre et de la demande. En période d’abondance, notamment avant et au début du Ramadan, l’offre excédentaire entraîne une baisse brutale des prix, alors même que les charges d’élevage atteignent des sommets. Comme l’explique Mohamed Aâboud, président de l’Association nationale des éleveurs de poulets de chair, les petits producteurs sont contraints de vendre à perte, car prolonger l’élevage au-delà d’un certain poids devient encore plus coûteux.
Le problème s’intensifie par la concentration de la production chez les grandes entreprises, qui maîtrisent mieux la gestion du stock et peuvent moduler l’offre, contrairement aux petits producteurs souvent piégés par les aléas du marché.
Une flambée des coûts sans précédent
Le prix du poussin d’un jour (le « ketkout ») est passé de 2 à 14 dirhams en quelques années. De même, les aliments composés, composés à 70 % d’intrants importés, ont vu leur prix grimper à 4,5 dirhams/kg. Résultat : le coût moyen de production dépasse désormais les 18 dirhams/kg, alors que les prix de vente en ferme peuvent tomber jusqu’à 11,5 dirhams/kg, générant des pertes pouvant atteindre 6 dirhams/kg.
Selon Khalid Rbati, responsable communication de la Fédération interprofessionnelle du secteur avicole, cette situation incite les éleveurs à réduire leur production, ce qui perturbe davantage l’équilibre du marché. Les éleveurs sont également accusés d’alimenter la spéculation en se tournant vers des intermédiaires pour acheter leurs poussins, plutôt que de passer par les contrats directs avec les couvoirs.
Une distribution dominée par l’informel
Le circuit de commercialisation souffre d’un déséquilibre flagrant : 80 % des volailles sont vendues via des « riâchates », ces points de vente et d’abattage traditionnels souvent non réglementés. Le Maroc compte environ 15 000 de ces points, contre seulement 27 abattoirs modernes agréés par l’ONSSA, qui ne couvrent que 20 % du marché.
Pour moderniser le secteur, la fédération a lancé en 2021 un programme d’accompagnement des porteurs de projets de nouveaux abattoirs modernes, avec un appui technique et financier. À ce jour, 28 projets sont en cours, mais leur impact sur la régulation des prix reste limité à court terme.
Des réformes attendues… et oubliées
Le contrat-programme signé dans le cadre du Plan Maroc Vert prévoyait une réduction des coûts de production grâce à l’exonération des intrants (poussins, aliments) de la TVA et des droits de douane. Mais les promesses restent sans effet, selon Mohamed Aâboud, qui pointe aussi le silence des pouvoirs publics face aux alertes des professionnels et aux hausses artificielles provoquées par les réseaux d’intermédiaires.
Une filière sous tension
Dans ce contexte, les marges bénéficiaires ont disparu, laissant place à des pertes structurelles pour des milliers de petits producteurs. La volatilité des prix, le coût élevé des intrants, le poids de l’informel et l’absence de régulation efficace risquent de fragiliser durablement une filière essentielle à l’alimentation des Marocains. Sans intervention rapide, c’est tout l’équilibre entre producteurs, consommateurs et acteurs économiques qui pourrait vaciller.
Recommandations pour une stabilisation durable du marché avicole
Pour rétablir l’équilibre des prix dans la filière avicole, une approche globale est nécessaire, alliant régulation, soutien public et organisation des acteurs. L’État devrait supprimer la TVA et les droits de douane sur les intrants essentiels (poussins et aliments composés), tout en renforçant le contrôle des circuits de distribution pour limiter la spéculation. En parallèle, il est impératif de soutenir les petits éleveurs via des contrats stables avec les couvoirs, et d’accélérer la modernisation des abattoirs pour structurer le marché. Enfin, une plateforme numérique de transparence des prix permettrait à tous les maillons de la chaîne de mieux anticiper les variations, limitant ainsi les pertes. Sans ces réformes, la durabilité de la filière avicole reste gravement menacée.
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STOP aux élevage intensifs et concentrationnaires.
OUI aux petits éleveurs artisanaux.
La meilleure viande et la moins chère est celle qu’on ne mange pas.