La liberté académique en Algérie traverse une nouvelle zone de turbulence. Dans un document interne daté de ce mois de mai, la doyenne de la faculté des sciences humaines et sociales de l’université Hassiba Ben Bouali de Chlef a émis une directive claire : interdiction formelle pour les enseignants du département d’histoire de s’exprimer dans les médias étrangers sans autorisation préalable. Cette décision, aussitôt dénoncée dans les milieux intellectuels, marque un nouveau pas vers la mise sous tutelle du savoir et la censure des voix discordantes au sein des institutions universitaires.
La note administrative invoque « la nécessité de préserver l’image de l’université » et « d’assurer l’alignement du discours académique avec les orientations officielles de l’État ». Tout contrevenant s’expose à des sanctions disciplinaires. Derrière cette formulation technocratique, se profile une volonté manifeste d’étouffer les voix indépendantes, notamment dans les disciplines sensibles telles que l’histoire.
Pour Ahmed Nourddine, spécialiste des relations internationales, ce verrouillage répond à une logique claire : « Le régime veut faire taire toute parole historique qui dérange, notamment celles qui remettent en cause le récit officiel sur la construction territoriale du pays ». Il cite les propos récents de l’écrivain Boualem Sansal, qui a évoqué la marocanité de certaines régions de l’Algérie actuelle, ou encore ceux de Nordine Aït Hamouda, remettant en cause certaines figures du panthéon national, comme l’émir Abdelkader. Pour le pouvoir, de telles déclarations sont perçues comme des menaces existentielles, là où les historiens défendent simplement le droit à la vérité et au débat.
Cette affaire intervient dans un contexte plus large de répression accrue de la liberté d’expression en Algérie, où la peur de la divergence historique ou culturelle semble s’imposer comme une doctrine. Le cas de Mohamed El Amine Belghit, universitaire interrogé récemment par « Sky News Arabia », est à ce titre révélateur : il fait aujourd’hui l’objet d’une procédure judiciaire pour « atteinte aux symboles nationaux », après avoir participé à un entretien jugé polémique par les autorités. Officiellement, il aurait porté atteinte à « l’unité nationale » et aux « fondements de l’identité algérienne ». Pourtant, selon ses proches, il s’agissait d’un projet de fiction historique, non d’un acte militant.
Pour Abdel Fattah El Fatihi, autre expert en relations internationales, cette dérive autoritaire prend racine dans une crise identitaire profonde du régime algérien. « Ne sachant plus s’ancrer sereinement dans la culture maghrébine qu’il a historiquement tenté d’effacer, le pouvoir glisse vers une gestion paranoïaque de la parole », déclare-t-il. Il fustige une approche qui consiste à « transformer les universités en prisons idéologiques », sous couvert d’uniformité nationale.
Plus inquiétant encore, l’Algérie semble désormais assimiler toute pensée critique à une menace contre l’État. Là où les universités devraient être des foyers de pluralisme, de recherche libre et de confrontation intellectuelle, elles sont en passe de devenir des extensions dociles du pouvoir central. La restriction imposée aux professeurs d’histoire n’est qu’un exemple parmi d’autres d’un rétrécissement assumé de l’espace académique et médiatique dans le pays.
L’heure est grave pour la communauté intellectuelle algérienne, qui se voit dépossédée de son droit fondamental à s’exprimer, à analyser et à transmettre des savoirs sans filtre idéologique. Dans une région où la mémoire historique est un enjeu central, bâillonner les historiens revient à effacer l’histoire elle-même.
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