Dans un pays en perpétuelle transformation comme le Maroc, se projeter vers l’avenir est un exercice à la fois intime et collectif. Qu’ils soient jeunes ou adultes, hommes ou femmes, riches ou modestes, croyants ou distants de la religion, les Marocains nourrissent des sentiments contrastés face à ce que demain leur réserve. Une enquête sociale informelle, appuyée par des entretiens et des observations empiriques, permet de cerner les grandes lignes de ce paysage émotionnel complexe.
Jeunes : entre révolte et résilience
Chez les jeunes, notamment ceux issus de milieux urbains, le pessimisme gagne du terrain. Le chômage, la difficulté d’accès au logement, et un système éducatif jugé en décalage avec le marché du travail alimentent cette désillusion. Pourtant, une frange optimiste persiste, souvent portée par l’entrepreneuriat, l’émigration envisagée comme un salut, ou encore par l’essor du digital qui crée de nouvelles opportunités. Pour eux, l’avenir se fabrique davantage qu’il ne s’attend.
Adultes : pragmatisme et espoir mêlés
Chez les adultes, l’optimisme varie selon le vécu personnel. Ceux qui ont un emploi stable, une famille unie et une relative sécurité économique tendent à voir l’avenir avec confiance. Les autres, confrontés à l’endettement, à la précarité ou à la maladie, adoptent une posture plus fataliste. Le facteur le plus déterminant dans leur vision de l’avenir demeure la stabilité économique.
Facteurs d’influence : l’entourage, le genre, la foi
Contrairement aux idées reçues, les Marocains ne sont pas toujours influencés par leur entourage pour forger leur opinion. Beaucoup estiment que leur regard sur l’avenir est forgé par leur expérience personnelle et leur propre cheminement.
Sur le plan du genre, les femmes se révèlent légèrement plus optimistes que les hommes. Cette différence peut s’expliquer par une plus grande résilience face à l’adversité, mais aussi par un certain recentrage sur les valeurs familiales et spirituelles.
La religion musulmane, omniprésente dans la société marocaine, joue également un rôle régulateur. L’islam, en prônant la confiance en Dieu (tawakkul), le destin (qadar) et l’importance de la patience (sabr), incite à garder espoir et à ne pas sombrer dans le désespoir, considéré comme un péché.
Éducation, richesse et changement de perception
Plus le niveau d’éducation et de culture est élevé, plus le regard porté sur l’avenir se nuance. L’instruction permet d’avoir une lecture critique des événements, mais elle peut aussi alimenter des inquiétudes face aux dysfonctionnements systémiques. En revanche, une bonne culture générale permet aussi de relativiser et d’espérer des changements positifs.
Quant aux personnes riches, leur situation matérielle ne les immunise pas contre le pessimisme. Bien au contraire, certains, confrontés à des problématiques d’insécurité, de confiance, ou de solitude, peuvent développer une forme d’anxiété sur l’avenir.
Enfin, l’optimisme n’est pas figé. Un individu peut traverser différentes phases au cours de sa vie, alternant confiance et inquiétude selon les événements, les pertes, les succès ou les changements d’environnement.
L’influence silencieuse : politique, médias et réseaux sociaux
Un facteur sous-jacent mais capital dans la perception que les Marocains ont de leur avenir réside dans l’environnement médiatique, politique et numérique.
Les discours politiques, souvent perçus comme éloignés du quotidien, peuvent renforcer le scepticisme, surtout lorsque les promesses ne se traduisent pas sur le terrain. Cette dissonance entre paroles officielles et réalités vécues accentue un sentiment de défiance, notamment chez les jeunes et les classes moyennes.
Les médias traditionnels jouent quant à eux un rôle ambivalent. Peu enclins à traiter les préoccupations de fond, ils se contentent souvent de relayer les succès politiques ou de couvrir les faits divers, en évitant les débats essentiels sur le chômage, la précarité ou les attentes de la jeunesse.
À l’inverse, les réseaux sociaux ont investi l’espace public comme jamais auparavant. S’ils permettent de propulser des récits d’espoir, des parcours inspirants ou des mobilisations citoyennes, ils sont aussi le théâtre d’un pessimisme viral. Les injustices amplifiées, les scandales relayés en boucle et la parole brute qui y circule favorisent un climat de tension émotionnelle constante.
Dans ce tumulte informationnel, le Marocain forge son opinion entre cynisme médiatique, désenchantement politique et lucidité numérique. Son regard sur l’avenir est filtré, construit, parfois altéré, par ce qu’il voit autant que par ce qu’il vit.
Un débat salutaire
Fallait-il poser ce débat ? La réponse est oui, sans détour. Dans un Maroc où les lignes bougent à grande vitesse – entre modernité assumée, aspirations sociales croissantes, et défis économiques persistants – questionner notre rapport à l’avenir est devenu une nécessité collective. Ce débat n’est pas une introspection inutile, c’est une boussole nationale.
Parler d’optimisme ou de pessimisme, c’est aussi parler de confiance – en soi, dans les autres, et dans l’État. C’est comprendre ce qui nourrit l’espoir ou ce qui l’étouffe. C’est aussi accepter que ces sentiments ne soient ni figés, ni universels, mais bien le reflet d’une époque, d’un vécu, et d’un contexte.
Au-delà des constats, cette réflexion peut nourrir une dynamique de réconciliation avec le futur : en misant sur la jeunesse, en réduisant les inégalités, en valorisant le mérite, et surtout en restaurant un lien sincère entre citoyens et institutions.
Car au fond, ce débat nous rappelle une vérité essentielle, à la fois individuelle et collective : l’avenir ne se subit pas, il se construit. Et dans un Maroc qui doute autant qu’il espère, il est grand temps de remettre du sens… pour remettre du souffle.
Par Salma Semmar