Trois ans de prison ferme. C’est la peine infligée, confirmée en appel et validée par la Cour de cassation, à un enseignant reconnu coupable d’agressions sexuelles sur cinq fillettes dans une école primaire de Beni Tadjite, province de Figuig. Une décision définitive, pourtant jamais exécutée. Aujourd’hui, l’homme vit librement. Les familles, elles, vivent avec une plaie béante et une justice silencieuse.
Une justice rendue… mais jamais appliquée
L’affaire est aussi glaçante qu’édifiante. Dès octobre 2019, plusieurs parents alertent sur les comportements déplacés d’un enseignant de français à l’école Dakhla. Des fillettes âgées de 8 à 9 ans parlent d’attouchements, de gestes déplacés, de traumatismes. L’enquête est ouverte, le procès a lieu en 2021. Le jugement tombe. Il est confirmé à chaque niveau de la justice marocaine. Et pourtant, rien.
L’homme, marié et père de famille, continue à vivre dans la région, sous les yeux d’une population choquée, d’enfants traumatisés, de familles détruites. Pire encore : les autorités judiciaires, pourtant saisies, gardent le silence.
Une lettre ouverte contre l’oubli
Cinq familles, dans un élan de dignité, viennent d’adresser une lettre ouverte au ministère public et au procureur général près la Cour d’appel d’Oujda. Leur message est simple : appliquez la loi, faites respecter la justice, protégez nos enfants.
Ce silence, disent-elles, est une insulte à la mémoire de leurs filles, à leur combat, à la confiance placée dans les institutions. Leur correspondance dénonce une situation « incompréhensible » qui met en péril « l’autorité de la justice » et laisse les victimes dans l’angoisse et l’humiliation.
L’innocence brisée, le silence imposé
« Ma fille a aujourd’hui 13 ans, mais elle n’a jamais vraiment pu sortir de ce cauchemar », raconte Houcine Boukheddou, l’un des pères. Il a quitté son emploi pour rester à ses côtés, faute de structures psychiatriques disponibles dans cette région oubliée.
« On nous avait promis que justice serait rendue. Mais à quoi sert une condamnation si elle n’est pas suivie d’effet ? », interroge-t-il, la gorge serrée.
Un scandale d’État
Ce dossier révèle une vérité dérangeante : au Maroc, même une condamnation définitive ne garantit pas l’emprisonnement d’un pédophile. La question est grave, le signal envoyé est dramatique. Que faut-il de plus pour faire appliquer une peine ? Pourquoi ce laxisme ? Quels réseaux ou inerties protègent encore un homme condamné pour avoir souillé l’innocence d’enfants ?
Tandis que le Maroc affiche, sur la scène internationale, sa volonté de renforcer les droits de l’enfant, le cas de Beni Tadjite témoigne de tout le contraire : une impunité inquiétante, une justice désarmée ou désintéressée, et des familles abandonnées.
Les familles ne lâcheront pas
Malgré les humiliations, malgré l’abandon, les familles des victimes continuent à croire en la justice de leur pays. Mais elles préviennent : leur patience a des limites. Si les institutions ne réagissent pas, c’est l’ensemble de l’édifice judiciaire qui en sortira affaibli. Et les victimes, elles, resteront à jamais marquées, dans un pays qui n’a pas su les protéger.