Longtemps reléguée au second plan, la santé mentale au Maroc est aujourd’hui au cœur d’une crise silencieuse. Si le Royaume a fait de notables avancées en matière de santé physique, le volet psychique reste entouré de stigmatisation, d’ignorance et d’un cruel manque de moyens. Ce retard accumulé pèse lourdement sur une population fragilisée, notamment les jeunes, de plus en plus exposés aux addictions, à la détresse morale et au risque de marginalisation.
Dans les familles comme dans les écoles, parler de dépression, d’anxiété ou de troubles psychiques demeure un sujet honteux, voire tabou. Pourtant, selon les données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), près d’un Marocain sur deux a déjà souffert d’un trouble mental au cours de sa vie, et les structures spécialisées sont dramatiquement insuffisantes. À titre d’exemple, le pays ne compte que 343 psychiatres pour plus de 37 millions d’habitants, et un seul hôpital psychiatrique pour toute la région de Casablanca.
Plus inquiétant encore : la jeunesse marocaine, confrontée à des frustrations sociales, économiques et existentielles, trouve dans la drogue une échappatoire de plus en plus fréquente. Cannabis, psychotropes, cocaïne… l’usage se banalise, y compris dans les lycées et les universités. Cette addiction massive engendre à son tour des troubles graves : isolement, paranoïa, délinquance, voire suicide. Les familles, impuissantes, observent la descente aux enfers de leurs enfants sans soutien psychologique ni cadre institutionnel efficace.
Face à ce constat alarmant, les initiatives restent dispersées. Des ONG militent pour lever le voile sur cette urgence sanitaire, mais sans relais politiques et médiatiques suffisamment puissants. Il devient impératif d’inscrire la santé mentale dans les priorités nationales : former davantage de professionnels, créer des centres d’écoute et de traitement, intégrer l’accompagnement psychologique dans les établissements scolaires et lutter fermement contre les réseaux de drogues.
Tant que cette crise mentale restera dans l’ombre, elle continuera de ronger les fondations de notre société. Le Maroc ne peut aspirer à un avenir équilibré sans soigner les maux invisibles de sa jeunesse. Car au-delà de la souffrance intérieure, c’est toute une génération qui bascule parfois dans l’irréparable : agressions, vols, conflits familiaux, voire homicides… les faits divers tragiques se multiplient, souvent perpétrés par des jeunes sous l’effet de substances qui altèrent le jugement et libèrent les pulsions les plus destructrices.
Sans prise en charge globale de la santé mentale et de la lutte contre l’addiction, c’est un cycle de violence sociale qui risque de s’installer durablement. Il est temps de briser le silence, d’agir avec lucidité et courage pour réconcilier notre jeunesse avec elle-même – avant qu’il ne soit trop tard.
Par Abdelrhni Bensaid