La ligne rouge a été franchie. À Sidi Kacem, un complexe social financé par l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH) et dédié à la protection de l’enfance a été transformé, dans l’opacité la plus totale, en hôtel privé avec bar. Un hectare et demi de terrain public, censé accueillir une infrastructure de solidarité, a ainsi glissé vers un investissement lucratif. La justice marocaine a réagi : huit hauts responsables élus et fonctionnaires de la région du Gharb sont interdits de quitter le territoire, dans le cadre d’une enquête pour corruption ouverte par la juge d’instruction chargée des crimes financiers près la Cour d’appel de Rabat.
Au cœur du dossier, une mécanique bien rodée de capture du bien commun : conversion du projet sans autorisations, « documents falsifiés », et mépris d’un avis défavorable d’un comité d’étude dès 2018. Ce qui devait protéger les enfants vulnérables s’est mué en rente privée. Si les faits sont avérés, il s’agit d’un cas d’école de prédation de l’argent public, où l’ingénierie administrative a servi des intérêts particuliers contre l’intérêt général.
L’affaire a éclaté après la plainte du parlementaire Abdellah El Hafid. La Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ) a mené des investigations durant plusieurs semaines, entendant plus de soixante personnes. La Cour des comptes a, à son tour, saisi la justice, ajoutant du poids au dossier. Les chefs d’accusation visés — « détournement et dilapidation de fonds publics », « construction sans autorisation » et « falsification de documents officiels » — traduisent la gravité des soupçons.
Parmi les mis en cause figurent l’actuel président du conseil provincial de Sidi Kacem ainsi que d’anciens élus et responsables administratifs. Au-delà des personnes, c’est une certaine manière de faire qui est mise en cause : détourner les dispositifs de l’INDH, instrument majeur de lutte contre la précarité, revient à assécher la confiance des citoyens et à priver les plus fragiles d’un droit élémentaire à la protection.
La procédure suit son cours. Mais un signal fort a déjà été envoyé : le temps de l’impunité s’amenuise. À Sidi Kacem, comme ailleurs, la reddition des comptes n’est pas une option — c’est la condition pour que l’argent du public cesse d’alimenter des palaces privés et revienne à sa destination première : le service du social.
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