Le chiffre bouscule le débat public : près de 600 médecins quittent chaque année le système de santé marocain pour exercer en Europe, tandis que des centaines d’infirmières choisissent le Canada. Une hémorragie silencieuse qui fragilise l’hôpital public, met sous tension les urgences et compromet la couverture sanitaire, surtout dans les régions éloignées.
Face à cette fuite des talents, les autorités ont ouvert la porte au recrutement de professionnels étrangers dans le privé, secteur en pleine expansion. Mesure de court terme, utile à la continuité des soins, mais insuffisante pour enrayer la dynamique des départs. Les revalorisations salariales n’ont pas, à elles seules, inversé la tendance : le différentiel de rémunération, mais aussi la promesse de conditions de travail stables, de carrières académiques lisibles et d’avantages sociaux pour les familles restent de puissants aimants.
Empêcher administrativement l’exil ? Illusoire et contre-productif. Raccourcir la durée des études de deux ans pour “produire” plus vite de nouveaux médecins ? Solution risquée, contestée par les principaux concernés, et qui ne répond pas à la question centrale : pourquoi partir… et pourquoi rester ?
Un plan de rétention à 360°
-
Contrat d’engagement attractif pour jeunes diplômés : salaire de base renforcé, primes de ruralité substantielles (plafonnées mais cumulables), logement de fonction, garde d’enfants, scolarité négociée.
-
Carrières médicales à parcours clairs : titularisation accélérée, passerelles vers la recherche et l’enseignement, temps protégé pour la formation continue, financement de congrès et de fellowships avec clause de retour.
-
Conditions de travail dignes : ratio soignants/patients revu, plateaux techniques fiabilisés, maintenance assurée, couverture du risque médico-légal, soutien psychologique après événements indésirables.
-
Partenariats public–privé sous contrat : vacations rémunérées au public, mutualisation de plateaux dans les provinces, objectifs de service public mesurables (astreintes, consultations sociales).
-
Incitations fiscales ciblées : abattements temporaires pour les installations en zones sous-dotées ; bourses-service (bourse d’internat contre années de service en priorité sanitaire).
-
Mobilités “circulaires” : accords bilatéraux et adhésion au code de l’OMS sur le recrutement éthique ; visas de formation 12–24 mois avec retour garanti, reconnaissance des compétences acquises.
-
Nouvelles compétences & numérique : élargissement encadré du rôle des infirmiers/IPA, télémédecine structurée, réseaux de spécialistes “hub & spoke” pour réduire l’isolement professionnel.
-
Gouvernance & confiance : simplification administrative, évaluation transparente, participation des praticiens aux décisions, lutte visible contre la corruption et les passe-droits.
1) Le « package famille »
La rétention ne peut ignorer la vie hors hôpital. Un package famille – logement de fonction, priorité crèche/école, aide à l’emploi du/de la conjoint(e), facilités de transport – constitue un levier décisif, notamment pour les jeunes praticiens affectés en zones sous-dotées. Offrir un cadre de vie stable réduit la tentation du départ structurel.
2) Sécurité médico-légale
La peur du risque juridique et l’absence d’assurance adaptée pèsent lourd dans la décision d’exil. La mise en place d’une assurance responsabilité médicale nationale, couplée à un fonds d’indemnisation des accidents médicaux et à un accompagnement juridique et psychologique des équipes, diminuerait cette insécurité et professionnaliserait la gestion des risques.
3) Recherche & valorisation universitaire
Fidéliser les profils académiques suppose de créer des chaires hospitalo-universitaires, d’allouer du temps protégé de recherche, et de financer des fellowships avec clause de retour. La reconnaissance scientifique (publications, carrière HU) devient alors un motif de rester, pas de partir.
+ Financement et pilotage : passer du catalogue de mesures aux résultats
Un plan crédible exige un cadre de financement pluriannuel (État, INDH, régions, PPP) et un pilotage par indicateurs : taux de vacance de postes par province, délais de recrutement, fidélisation à 3/5 ans, satisfaction des soignants, accessibilité territoriale. Un tableau de bord public trimestriel, un calendrier en trois vagues (12, 24, 36 mois) et des contrats d’objectifs avec les CHU/CHR sécuriseront l’exécution et la redevabilité.
Retenir un médecin, c’est offrir un projet professionnel et de vie crédible. En combinant reconnaissance, cadre de travail, perspectives de carrière, qualité de vie familiale et pilotage exigeant, le Maroc peut transformer la spirale des départs en mobilité maîtrisée au service du pays.
Par Salma Semmar