Je crois que j’ai compris quelque chose cette semaine, en regardant un simple réel instagram prendre feu. Je n’avais rien préparé : pas de lumière travaillée, pas de musique douce, pas de montage élégant. J’étais juste là, fatigué, racontant ce que j’avais vécu dans une clinique de Rabat : une attente, un diagnostic dans un couloir, un sentiment d’impuissance. En quelques heures, des milliers de personnes ont réagi. Certaines pour soutenir, d’autres pour critiquer, mais toutes pour dire : “moi aussi, j’ai vécu ça.”
Et c’est là que j’ai réalisé que les réseaux sociaux ne sont pas, contrairement à ce qu’on croit, des vitrines d’information ou des espaces pédagogiques. Ce sont des places publiques émotionnelles, des lieux de vie où l’on ne vient pas apprendre, mais appartenir.
En 2025, plus de 5,6 milliards de personnes utilisent les réseaux sociaux dans le monde, soit près des deux tiers de l’humanité.Facebook reste la première plateforme, avec environ 3 milliards d’utilisateurs actifs. Viennent ensuite Instagram, autour de 2 à 3 milliards, et TikTok, entre 1,6 et 1,9 milliard.Au Maroc, ils sont 21 millions à se connecter chaque mois ; plus de la moitié de la population.Ce ne sont plus des espaces parallèles à la vie sociale : ce sont les nouvelles places du village.
D’ailleurs, les neurosciences confirment aujourd’hui ce que l’expérience montre : notre cerveau réagit d’abord à l’émotion, pas à l’information. Dans les réseaux sociaux, ce n’est pas le contenu rationnel qui déclenche l’engagement, mais la résonance affective qu’il provoque. Une publication authentique active les mêmes zones cérébrales que celles impliquées dans l’empathie, notamment l’insula et le cortex cingulaire antérieur. Autrement dit, quand quelqu’un ose dire “moi aussi j’ai eu peur”, notre cerveau ne “comprend” pas seulement : il ressent. C’est pour cela que la sincérité traverse les écrans. Elle agit comme une contagion émotionnelle positive, recréant les micro-rituels de lien que nos sociétés ont perdus. L’algorithme ne fait qu’amplifier ces signaux humains, il récompense ce qui fait vibrer, pas ce qui impressionne.
Sur Instagram ou TikTok, les gens ne cherchent pas des cours magistraux : ils cherchent des miroirs. Des traces d’humanité qui leur rappellent qu’ils ne sont pas seuls à douter, à souffrir, à espérer. Depuis des années, on nous explique comment “performer” : capter l’attention, choisir le bon hook, calibrer la lumière, ajouter la musique qui émeut juste assez. Et pourtant, ce qui bouleverse l’algorithme, ce qui traverse les écrans, ce n’est pas la perfection : c’est la sincérité brute. Un tremblement dans la voix vaut parfois mille transitions vidéo.
L’algorithme, en réalité, n’est pas notre ennemi. Il agit comme un sismographe collectif : il amplifie ce qui vibre déjà dans la société.S’il pousse un témoignage ordinaire plus qu’une capsule soignée, ce n’est pas une injustice : c’est un symptôme. Celui d’un monde saturé d’images mais affamé de vérité.
Je repense souvent à cette phrase que j’avais évoqué lors de ma chronique hebdomadaire Kif Halkoum: “Les influenceurs chantent, dansent ou font rire.” J’y voyais autrefois une forme de superficialité. Aujourd’hui, je la relis autrement : ces expressions sont les rituels modernes de la cohésion sociale. Nous ne prions plus ensemble, nous scrollons ensemble. Les likes sont devenus nos salutations, les stories nos nouvelles du jour.
Alors oui, les réseaux sont pleins de bruit, de jugements, de contradictions. Mais ils sont aussi, qu’on le veuille ou non, le plus grand espace de lien du XXIᵉ siècle. Un espace imparfait, fragile, mais profondément humain.Et si l’on veut s’en servir pour transmettre, il faudra d’abord apprendre à y habiter. Non pas comme un professeur face à sa classe, mais comme un être parmi les autres : vulnérable, attentif, capable d’écoute.
Le neuromarketing, qui s’intéresse à la façon dont notre cerveau réagit aux émotions, nous montre que l’attention n’est plus un bien rare, mais un bien émotionnel. On ne capte plus l’attention, on la mérite. Les utilisateurs ne s’attachent pas à une marque ou à un créateur pour la qualité visuelle d’un contenu, mais pour la cohérence émotionnelle qu’ils perçoivent. Dans un monde saturé de discours, l’authenticité est devenue une stratégie de différenciation radicale. Être vrai n’est pas une posture morale, c’est une puissance d’attraction neuronale : le cerveau reconnaît la dissonance avant même que les mots ne soient prononcés. Et c’est cette absence de filtre, cette présence vraie, non performée, qui crée le sentiment de confiance, donc de lien.
Ce que cette expérience m’a appris, c’est que la parole qui touche n’est pas celle qui informe le plus, mais celle qui ose ressentir à voix haute.Peut-être que l’objectif, désormais, n’est plus de “faire de la pédagogie” sur les réseaux, mais d’y restaurer le lien sensible : parler vrai, écouter les réactions, comprendre ce qui traverse les gens, même quand ça dérange.
Parce qu’au fond, dans ce vacarme numérique, il reste une question simple: et si les réseaux, malgré tout, étaient devenus le dernier lieu où l’on ose encore dire “je me sens seul” ?
Par Dr Wadih Rhondali et Anis Gherras










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