Au Maroc, se soigner coûte cher, parfois trop cher. Pour des milliers de patients atteints de pathologies chroniques, la douleur la plus vive n’est pas toujours celle de la maladie, mais celle de la facture. Certains traitements sont vendus trois à quatre fois plus cher que chez nos voisins ou en Europe. Dans les pharmacies, le constat est devenu banal : la santé se paie au prix fort.
Une régulation sous perfusion
La création d’une agence dédiée au médicament a nourri l’espoir d’un marché plus transparent et plus équitable. Mais les effets tardent : les mécanismes de fixation des prix restent opaques et la révision promise du décret encadrant ces prix n’a pas encore produit de choc visible pour le consommateur. S’ajoutent des droits et taxes à l’importation qui renchérissent les produits venus de l’étranger, permettant aux laboratoires internationaux de préserver des marges confortables. La généralisation de la protection sociale, pourtant structurante, n’a pas encore corrigé la pression tarifaire ressentie au comptoir.
Le “Made in Morocco” pharmaceutique, potentiel bridé
L’argument de la souveraineté sanitaire s’est imposé depuis la pandémie : produire localement pour rendre les traitements accessibles. Dans les faits, l’industrie nationale reste entravée par le coût des matières premières importées, le poids des certifications, la dépendance aux brevets et un accès difficile à la recherche clinique. Résultat : la production locale, qui devrait tirer les prix vers le bas, n’exerce pas la pression attendue. Pire, certains médicaments courants fabriqués au Maroc restent proposés à des niveaux peu compatibles avec le pouvoir d’achat moyen.
La chaîne de valeur qui gonfle l’addition
Les prix ne sont pas que l’affaire des laboratoires. Les marges cumulées tout au long de la chaîne — fabricant, grossiste-répartiteur, pharmacien — pèsent lourd. Dans un marché fragmenté, avec des coûts logistiques et de distribution variables selon les régions, les écarts s’accentuent. Ce millefeuille des marges, rarement expliqué au public, transforme un médicament “abordable” à la sortie d’usine en un produit final parfois prohibitif.
Des vies suspendues à une ordonnance
Les premiers à payer le prix fort sont les cancéreux, les cardiaques, les diabétiques, les insuffisants rénaux : toute interruption ou irrégularité de traitement aggrave le risque vital. Face aux ruptures, à l’inflation médicamenteuse et aux indisponibilités, des patients renoncent, fractionnent les doses ou se tournent vers des circuits parallèles, au risque de la contrefaçon. Les associations de patients alertent : l’accessibilité réelle — disponibilité + prix — doit devenir l’indicateur clé des politiques publiques.
Comparaison régionale : un retard coûteux
La comparaison avec des pays maghrébins comme la Tunisie ou l’Égypte montre qu’une régulation ferme, des appels d’offres mutualisés pour l’hôpital, la promotion des génériques et la négociation systématique avec les titulaires de brevets peuvent infléchir les prix. Le Maroc dispose d’atouts (cadre industriel, marché significatif, ambition d’export), mais peine encore à transformer ces atouts en pouvoir de négociation au bénéfice des patients.
Ce qu’il faudrait changer, vraiment
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Réviser et appliquer sans délai un cadre de fixation des prix lisible, indexé sur des paniers internationaux de référence, avec révisions périodiques à la baisse.
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Accélérer les génériques et biosimilaires : fast-track d’enregistrement, incitations à la prescription, information du public.
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Acheter mieux pour le public (hôpitaux, RAMED/AMO) via des centrales d’achats mutualisées et transparentes.
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Stimuler la production locale : soutien R&D, fiscalité ciblée, clauses de transfert de technologie dans les marchés publics, sécurisation des intrants.
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Rendre des comptes : publier les marges par segment de la chaîne et instaurer un observatoire indépendant des prix et des ruptures.
Une vérité crue, un espoir tenace
Les Marocains attendent un virage : des médicaments disponibles, sûrs et abordables. Sans volonté politique ferme, sans relance industrielle et sans transparence dans la distribution, le dicton populaire restera d’actualité : « Mieux vaut ne pas tomber malade au Maroc. » Mais l’alignement entre réforme réglementaire, montée en gamme industrielle et pouvoir d’achat peut, lui, changer la donne, durablement.










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