Faut-il couper le micro à Abdelilah Benkirane ? La question revient avec insistance à mesure que le secrétaire général du Parti de la justice et du développement (PJD) multiplie les sorties publiques au ton offensif. L’ancien chef du gouvernement (2011-2017), écarté du pouvoir central depuis, continue d’occuper l’espace politique et médiatique en misant sur un registre très personnel, direct, parfois brutal.
Dernier épisode en date : sa demande explicite de limoger un gouverneur à Guelmim, qu’il accuse d’avoir refusé de serrer la main à un élu du PJD en le jugeant « indigne ». L’affaire, locale en apparence, a été projetée au niveau national par Benkirane lui-même, via ses interventions filmées et diffusées sur les réseaux sociaux. Il ne s’agit plus seulement de dénoncer un incident protocolaire, mais de mettre en accusation l’autorité territoriale, donc l’État, au nom d’un supposé affront.
Cette méthode est désormais sa signature. Benkirane transforme chaque prise de parole en séquence virale : discours improvisés dans son salon, mises en scène de confidences politiques, mise en cause de responsables publics. Il sait que les extraits tournent vite, récoltent des réactions, structurent une narration : celle d’un leader injustement tenu à l’écart et prêt, dit-il, à revenir aux commandes.
Officiellement, il justifie ces diatribes comme un devoir moral : « défendre les citoyens », pas seulement son parti. Dans les faits, son registre relève plus de la pression publique que du travail institutionnel. Il s’agit moins d’un plaidoyer programmatique que d’un bras de fer permanent où il se pose en recours, face à un gouvernement qu’il présente comme incompétent ou déconnecté.
Cette stratégie inquiète jusque dans son propre camp. Au sein du PJD, des voix appellent à professionnaliser la communication du parti, à désigner un porte-parole, à encadrer les déclarations, et à éviter les dérapages qui brouillent le discours politique islamiste au profit d’un culte de la personnalité.
En creux, une question : Benkirane sert-il encore son parti — ou se sert-il surtout lui-même ?
Au fond, la question n’est pas tant de « couper le micro » à Abdelilah Benkirane que de s’interroger sur le contrat démocratique que le Maroc souhaite nourrir. Faut-il encourager des débats politiques structurés, fondés sur les idées et les propositions, ou laisser prospérer un feuilleton d’invectives et de polémiques alimenté par les réseaux sociaux ? À court terme, la stratégie du bruit assure à Benkirane une visibilité certaine et réactive son aura populiste. Mais à moyen terme, elle risque d’affaiblir le message du PJD, brouillant la frontière entre leadership politique et agitation médiatique. Dans un contexte où la parole publique devrait servir la clarté du débat démocratique, le verbe de Benkirane, s’il ne se discipline pas, pourrait bien se transformer en écho stérile.
Par Salma Semmar










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