Pendant que l’Europe débat de l’âge auquel on aura le droit de scroller, la Chine vient de trancher une autre question : qui a le droit de parler de quoi sur les réseaux sociaux.
Depuis octobre, les influenceurs chinois qui donnent des conseils en santé, droit, finance ou éducation doivent prouver qu’ils ont un diplôme dans le domaine. Les plateformes doivent vérifier et afficher ces titres. Pas de diplôme, pas de prise de parole « experte ».
Au même moment, la Norvège prépare une loi pour interdire l’accès aux réseaux sociaux aux moins de 15 ans, avec vérification d’âge obligatoire. L’objectif : protéger les enfants des algorithmes et du harcèlement. On ferme la porte de la plateforme comme on confisquait les Walkman.
Intuitivement, cette tentation de l’interdit rassure. Elle coche toutes les cases du vieux schéma décrit par Michel Foucault dans Surveiller et punir : identifier un comportement jugé dangereux, tracer une frontière, sanctionner ceux qui la franchissent. Sauf qu’en 2025, l’interdit fonctionne mal. Les adolescents contournent les blocages mieux que leurs parents : faux âges, VPN, comptes secondaires. Au final, on pénalise surtout les plus vulnérables… et on laisse les autres seuls face aux contenus les plus toxiques.
La Chine, paradoxalement, adopte une voie plus intéressante : au lieu de bannir les jeunes, elle se demande si ceux qui influencent des millions de personnes savent réellement de quoi ils parlent.C’est une question que beaucoup de pays n’osent pas poser, par peur d’être accusés de censure.
Pendant ce temps, les chiffres s’accumulent. Une enquête du Guardian montre que plus de la moitié des vidéos TikTok les plus vues sur la santé mentale contiennent de la désinformation : guérison express des traumas, compléments miracles, diagnostics sauvages. Et ce sont précisément ces contenus que les algorithmes poussent vers les jeunes qui vont mal.
Au Maroc, on n’a pas encore d’étude sur la qualité des contenus #santémentale en darija ou en français. Mais on connaît le décor : accès difficile aux soins, peu de psychiatres, structures saturées. Ce n’est pas un jugement, c’est un constat : même si tout le monde voulait consulter en vrai, le système ne pourrait pas absorber la demande.C’est dans ce vide que TikTok et Instagram s’installent comme pseudo-cabinets de consultation.
Face à cela, deux options.Soit on continue à moraliser les jeunes : « lâchez vos téléphones ». Un discours inutile quand le numérique fait déjà partie de leur vie psychique et sociale.
Soit on accepte que certains domaines – la santé, le droit, la finance – ne peuvent pas être laissés au seul marché de l’attention, et qu’il faut des règles claires.
C’est là que la mesure chinoise devient intéressante : elle introduit un principe d’expertise vérifiable. Tout le monde peut témoigner, raconter son burn-out ou son anxiété. Mais lorsqu’on donne des conseils généraux – arrêter un traitement, diagnostiquer un trouble, proposer une « thérapie express » –, la barre doit monter : diplôme, numéro à l’Ordre, cadre légal.
Ensuite, responsabiliser les plateformes : lier automatiquement les contenus sensibles à des ressources fiables, des centres de crise, des professionnels. Les réseaux savent cibler la publicité ; ils peuvent cibler la prévention.
Je ne suis pas pour un monde où l’on bloque les ados. Je suis pour un monde où, quand une jeune fille marocaine de 16 ans cherche « je n’arrive plus à dormir » sur TikTok, la première réponse n’est pas une vidéo mensongère tournée par quelqu’un qui n’a aucune formation, mais un contenu clair, nuancé, porté par des professionnels.
Plutôt que surveiller et punir les usages des jeunes, surveillons la qualité de ce qu’on met sous leurs yeux. Sur ce terrain, paradoxalement, la Chine vient de prendre une longueur d’avance.
À nous de reprendre la main, au Maroc, avant que la consultation principale d’une génération ne soit assurée… par l’algorithme.
Par Dr Wadih Rhondali – Psychiatre











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Certes, mais c’est bien plus facile en Chine où l’accès à l’Internet est contrôlé par l’état. Eduquons non seulement les jeunes, mais l’ensemble de la société, à mieux repérer les mensonges, les demi-vérités, les fausses images et vidéos, et surtout les sources fiables d’information.