Sous les lumières de TF1, c’est un visage fatigué mais digne qui est apparu dimanche soir dans l’émission « Sept à huit ». Celui de Rachid, boulanger marocain installé en Eure-et-Loir, venu raconter quatre années d’exploitation et d’illusions brisées. Un témoignage rare, qui met en pleine lumière la réalité des travailleurs sans papiers en France, souvent indispensables mais invisibles.
Arrivé en 2020 après plus de vingt ans de métier au Maroc, Rachid croit alors saisir une chance : un poste en boulangerie, un logement, la promesse d’une future régularisation. L’offre lui parvient via un groupe d’entraide WhatsApp, comme pour beaucoup de travailleurs migrants qui se fient au bouche-à-oreille. À l’autre bout du fil, son futur patron, Anthony M., tient un discours séduisant… mais refuse déjà de parler salaire, comme le révèlent les enregistrements audio diffusés par TF1.
La réalité, une fois sur place, est tout autre. Le laboratoire est insalubre, les normes d’hygiène sont bafouées, des rats circulent, la chaîne du froid n’est pas respectée. Rachid, lui, accepte de rester. Il se persuade que le travail finira par payer et qu’un contrat stable lui ouvrira les portes de la préfecture. Au bout de trois mois, il obtient enfin un contrat… de vingt heures. Sur le papier seulement : dans les faits, il travaille sept jours sur sept, y compris malade, sans compter ses heures.
Les conditions de vie sont à l’avenant. Logé au-dessus du commerce, sans bail ni protection, il occupe ce qu’il décrit comme « une chambre qui ressemble à une cave » : pas de chauffage, vitres cassées, cafards, humidité, cartons et matériel entassés autour de son lit. Cet hébergement de fortune permet aussi à l’employeur de le faire descendre à n’importe quelle heure pour « donner un coup de main », brouillant totalement la frontière entre temps de repos et temps de travail.
Lorsque la boulangerie commence à décliner, la situation bascule. Les salaires ne sont plus versés régulièrement, puis cessent purement et simplement d’être payés. Le commerce finit par fermer. Pour Rachid, tout s’effondre : pas de contrat, pas de ressources, pas de papiers, et seulement 500 euros en poche après quatre ans de labeur. Coupé de sa femme et de ses enfants restés au Maroc, qu’il n’a pas vus depuis cinq ans, il confie à la caméra avoir eu des pensées suicidaires face à cette impasse.
C’est une association d’aide aux travailleurs migrants qui va lui tendre la main. Conseillé et accompagné, Rachid décide de porter plainte pour traite d’êtres humains, qualification pénale qui vise notamment l’exploitation par le travail dans des conditions indignes. Placé en garde à vue, l’employeur conteste tout en bloc devant les journalistes : il se dit « la plus grande victime » de cette histoire, assure que son salarié ne travaillait que quatre heures par jour et jure ignorer sa situation irrégulière. Une version mise à mal par un document clé : une lettre de motivation adressée à la préfecture, signée de sa main, dans laquelle il appuie la demande de régularisation de Rachid.
Le reportage s’inscrit dans un numéro de « Sept à huit » consacré aux « travailleurs de l’ombre », ces sans-papiers omniprésents dans l’agriculture, le bâtiment, la restauration ou la boulangerie, sans lesquels certains secteurs tourneraient au ralenti. Il rappelle que des affaires similaires ont déjà conduit à des condamnations pour traite d’êtres humains en France, notamment dans la restauration ou les exploitations agricoles, où des travailleurs marocains ont été employés dans des conditions qualifiées d’« indignes » par la justice.
Au Maroc, le récit de Rachid résonne tout particulièrement. Il illustre le parcours de milliers de travailleurs qualifiés qui, après des années d’expérience dans leur pays, partent tenter leur chance en Europe avec l’espoir d’un avenir meilleur pour leur famille. Le cas de ce boulanger expérimenté, réduit à vivre dans un logement insalubre et privé de salaire, rappelle cruellement combien cet espoir peut parfois se transformer en piège.
L’enquête judiciaire suit son cours. Mais, au-delà du sort de Rachid et de la responsabilité de son ex-employeur, ce témoignage pose une question dérangeante : combien de boulangers, de serveurs, d’ouvriers du bâtiment ou de saisonniers agricoles vivent, en silence, la même réalité ? Dimanche soir, le visage de Rachid a donné un nom à cette misère cachée. Et rappelé que derrière chaque baguette croustillante vendue à l’aube, il y a parfois l’histoire d’un homme venu de loin, prêt à tout pour gagner dignement sa vie… mais que le système laisse sans défense.
Par Salma Semmar










Contactez Nous