L’Australie vient d’interdire les réseaux sociaux aux moins de 16 ans. L’Union européenne discute de vérifications d’âge obligatoires. Emmanuel Macron parle de “Far West numérique” où nos adolescents sont livrés aux géants américains et chinois. De l’autre côté, la Chine ne bloque pas les jeunes, elle bloque… les “experts” auto-proclamés : pour parler de santé ou de finance, il faut désormais un diplôme vérifié.
Pourquoi cet article ? Parce que le Maroc regarde ce débat arriver en différé, et qu’il va devoir choisir sa voie. Pas seulement une loi de plus, mais une vision : que voulons-nous protéger exactement, et comment ?
Aujourd’hui, nous avons un ministère de la Transition numérique, comme beaucoup de pays. Mais le numérique n’est plus une “transition” : c’est devenu l’infrastructure silencieuse de la santé, de l’école, de la justice, de l’emploi. Quand un adolescent marocain va mal, ce n’est pas le ministère de la Santé qu’il consulte en premier, c’est TikTok ou Instagram. Quand des milliers de jeunes se sont mobilisés autour du mouvement GenZ212, ils n’ont pas demandé plus de divertissement : ils ont demandé un vrai accès à l’éducation et à la santé. Deux chantiers qui, qu’on le veuille ou non, passeront désormais aussi par le numérique.
Et parce que le système de santé n’a ni la capacité ni la présence médiatique nécessaires, ce sont les contenus les plus viraux – pas les plus fiables – qui occupent le terrain. Résultat : une partie de l’éducation à la santé mentale, à la sexualité, aux addictions, est déjà déléguée à des algorithmes privés, entraînés pour maximiser le temps d’écran, pas le bien-être.
C’est là que se joue le vrai “pourquoi” : nous avons besoin de plus qu’un ministère qui gère la fibre et les licences. Il nous faut, à terme, un véritable ministère du numérique avec une vision transversale, capable de travailler avec la Santé, l’Éducation nationale, la Jeunesse, la Justice. Un ministère qui traite l’environnement numérique comme un déterminant de santé et de cohésion sociale, au même titre que le logement ou l’accès à l’eau.Et ce n’est pas une utopie théorique : plusieurs pays ont déjà fait ce choix. La Pologne dispose d’un véritable ministère du Numérique, la Malaisie a créé un Ministry of Digital dédié à la stratégie nationale, et les Émirats arabes unis ont même un portefeuille qui associe intelligence artificielle, économie numérique et nouvelles formes de travail. Autrement dit, l’idée d’un ministère du Numérique n’est plus une fiction : c’est un outil politique que d’autres utilisent déjà pour structurer leur avenir.
Concrètement, cela signifie : savoir quels contenus nos jeunes consomment, quels usages augmentent le risque d’anxiété, de décrochage scolaire ou de passage à l’acte, et lesquels au contraire soutiennent l’apprentissage, la créativité, le lien social. La suite – les “comment” et les “quoi faire” – viendra : encadrement des faux experts, obligations pour les plateformes, nouveaux outils éducatifs. Mais avant de légiférer à coups d’interdictions spectaculaires, il faut accepter une évidence simple et exigeante : le numérique n’est plus un gadget technique, c’est un enjeu de santé publique.
La recommandation implicite pour le Maroc pourrait tenir en une phrase : ne décidons pas d’interdire avant de comprendre, et ne copions pas avant de mesurer. C’est moins spectaculaire qu’un bannissement général des réseaux sociaux. C’est en revanche la condition pour construire une politique où nos adolescents ne sont pas désignés comme le problème, mais reconnus comme les premiers concernés – et où les adultes, institutions comme plateformes, prennent enfin leur part de responsabilité.
Par Dr Wadih Rhondali – Psychiatre










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