Chaque année, les routes marocaines se transforment en théâtre de tragédies silencieuses. En 2024, plus de 142.000 accidents de la circulation ont été enregistrés, causant la mort de 3.600 personnes. Ces chiffres glaçants s’apparentent à ceux d’un véritable conflit régional, tant les pertes humaines et économiques sont lourdes. Et le plus dramatique reste que près de la moitié de ces accidents impliquent des motos ou des triporteurs.
Parmi les cas les plus poignants, celui de douze membres d’une même famille ayant péri à bord d’un triporteur, dans un accident qui a choqué l’opinion publique. Ces véhicules, souvent utilisés à des fins commerciales, sont détournés de leur usage initial, au mépris des règles de sécurité les plus élémentaires. Le phénomène s’est aggravé depuis l’explosion des services de livraison à domicile, qui emploient massivement des jeunes peu formés, souvent non déclarés, roulant sans permis ni équipements de protection.
Le non-respect généralisé du code de la route, l’excès de vitesse, le non-port du casque, la négligence des feux tricolores ou des stops, et l’usage du téléphone au volant sont autant de comportements à risque qui alimentent ce fléau. Pourtant, les campagnes de sensibilisation successives n’ont que peu d’effet, si ce n’est quelques baisses marginales dans certaines villes. La répression, quant à elle, reste timide, et les sanctions peu dissuasives.
L’état des infrastructures vient aggraver la situation : routes mal entretenues, nids-de-poule, absence de pistes cyclables, signalisation défaillante… Autant d’éléments qui rendent la circulation périlleuse, en particulier pour les usagers les plus vulnérables.
Sur le plan économique, ces accidents coûtent cher à l’État : prises en charge médicales, assurances, indemnisations, dégâts matériels, et surtout, la perte d’un capital humain productif. Des sommes colossales qui pourraient être réinjectées dans des secteurs sous-financés comme la santé ou l’éducation.
Autre faille inquiétante : le contrôle technique quasi inexistant des triporteurs et deux-roues, ainsi que l’absence de formation obligatoire pour leurs conducteurs. Cette lacune réglementaire ouvre la voie à une anarchie routière à haut risque.
Dans ce contexte, le Maroc semble pris au piège d’un problème structurel, difficile à éradiquer malgré les efforts entrepris. La clé de sortie paraît lointaine, tant les causes sont multiples et les solutions complexes. Mais une volonté politique forte, combinée à une réforme radicale de la sécurité routière, pourrait faire bouger les lignes.
Par Salma Semmar