En quelques années, Akdital est devenu le symbole de la modernisation de la santé privée au Maroc. Entrée en Bourse fin 2022, croissance à deux chiffres, dizaines de cliniques flambant neuves, communication léchée : sur le papier, la success story est parfaite. Le groupe revendique aujourd’hui plus de 4 000 lits, répartis dans une trentaine d’établissements et plus de vingt villes, avec un chiffre d’affaires qui a presque doublé entre 2022 et 2023.
À cela s’ajoute un argument massue : la qualité. Dix établissements, ainsi que la holding, ont obtenu la certification ISO 9001:2015, après un audit avec « 0 non-conformité, 0 point faible », présenté comme la preuve d’un niveau d’exigence irréprochable.
Mais, parallèlement à ces chiffres impressionnants, les témoignages de familles vivent une tout autre réalité : manque d’information, absence de médecins référents, décisions thérapeutiques peu expliquées, sentiment d’abandon dans des moments critiques. Qu’ils soient exacts ou non au cas par cas, leur multiplication doit interroger. Quand les mêmes griefs reviennent – communication défaillante, délais, impression que la priorité est la facturation plus que la relation de soin – ce n’est plus seulement un problème individuel, c’est un signal sur le modèle.
Le risque tient précisément à la vitesse de croissance. En quatre ans, la capacité litière d’Akdital a été multipliée par plus de six, passant d’environ 600 à près de 3 700 lits. Or la culture de sécurité des soins, la formation continue des équipes, la supervision médicale et le travail interdisciplinaire ne se déploient pas au même rythme qu’un chantier ou qu’un plan financier. Il existe dans toutes les grandes organisations un « effet lune de miel » : au début, tout est sous contrôle, puis la pression économique et l’industrialisation finissent par grignoter le temps médical, l’écoute et la transparence.
Un deuxième enjeu, plus structurel, est celui de la concurrence. Au fil des rachats et autorisations du Conseil de la concurrence, Akdital est en train de devenir l’acteur dominant de la santé privée, avec des acquisitions dans plusieurs régions et des projets de centres de diagnostic de proximité, qui ont d’ailleurs suscité une forte contestation des médecins libéraux avant d’être retirés. Dans un système public déjà fragilisé, voir un seul groupe privé contrôler une part croissante de l’offre hospitalière pose une question simple : qui régule réellement l’équilibre entre logique de soin et logique de rentabilité ?
Il ne s’agit pas de diaboliser Akdital ni de nier les progrès qu’a permis son développement : accès à certains plateaux techniques, création d’emplois, prise en charge de pathologies lourdes dans des villes qui en étaient dépourvues. Mais plus un acteur devient central, plus les garde-fous doivent être solides.
Concrètement, cela passe par : un registre national public des événements indésirables graves, des inspections indépendantes régulières, une obligation de rendre compte sur les délais d’accès, la transparence des tarifs, et une réelle place donnée aux représentants des patients dans la gouvernance. Sans ces contre-pouvoirs, le risque est clair : après la phase de séduction, le pays pourrait se réveiller avec un quasi-monopole privé, difficile à réguler, dans un domaine qui touche au bien le plus précieux : la vie humaine.
Akdital n’est pas seulement une success story d’entreprise. C’est un test grandeur nature pour savoir si, au Maroc, la santé peut être laissée aux seules forces du marché, ou si nous sommes capables de construire un cadre où l’investissement privé est encouragé… mais jamais au détriment des droits fondamentaux des patients.
Par Wadih Rhondali – Psychiatre










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