À Amezmiz, un samedi soir de fin août : un père aurait été tué par son fils. On a fermé les volets, on a parlé bas. Le 31 août 2025, Actu-Maroc a écrit l’essentiel : le fils, décrit comme souffrant de troubles psychiques, aurait été interpellé. À ce stade, peu de reprises nationales. Avançons donc prudemment, au conditionnel. Mais une chose demeure : dans les foyers, la violence ne jaillit presque jamais d’une cause unique. C’est un empilement. Des disputes qui s’éternisent, des humiliations qui fermentent ; des troubles non soignés — épisodes psychotiques, dépressions sévères, troubles de la personnalité ; l’alcool ou les drogues qui désinhibent ; un couteau trop proche sur la table ; l’isolement quand la honte empêche de demander de l’aide ; le stress de la précarité, du deuil, des séquelles de catastrophes. Pris séparément, aucun de ces éléments ne « fabrique » un meurtrier ; ensemble, un soir de bascule, ils ouvrent la porte à l’irréparable.
Les proches le disent souvent après coup : des menaces répétées (« Un jour, tu vas voir »), une escalade verbale ; des insomnies, une irritabilité inhabituelle, des propos paranoïdes ; un retrait social, une consommation qui grimpe ; cette auto-alerte murmurée : « Je me surprends moi-même ». La grande majorité des personnes vivant avec un trouble psychique ne sont pas violentes ; le risque augmente quand se cumulent absence de soins, tensions familiales, consommations et accès à des moyens. Règle d’or : s’il y a armes, ivresse ou menaces explicites, on sécurise d’abord (mettre à l’abri, protéger les enfants) et on alerte ; pas de médiation à chaud.
Et quand il faut de l’aide, la porte est loin. Selon des estimations de 2023, le Maroc compte ≈ 450 psychiatres pour plus de 37 millions d’habitants, concentrés à Casablanca, Rabat et Marrakech ; Al Haouz et bien des provinces rurales restent sous-desservies. La stigmatisation fait le reste : on minimise, on cache, on attend « que ça passe ». Des annonces existent — unités régionales, formation d’infirmiers spécialisés — mais l’écart entre la demande et l’offre persiste hors des métropoles.
Concrètement, cinq leviers pour prévenir : des équipes mobiles de crise en zones rurales (binôme infirmier-psychologue, appui psychiatrique à distance) ; une formation de premiers secours en santé mentale pour police, enseignants, imams, travailleurs sociaux ; des lignes d’écoute 24/7 et de la télépsy pour un accès rapide ; un protocole interservices (santé-police-justice-social) assorti d’un registre confidentiel des situations à risque.
De l’intime au collectif, la question n’est pas de savoir si la violence existe, mais comment on la prévient. Nommer la tragédie, c’est honorer la mémoire ; agir sur ses causes, c’est protéger. Entre fatalité et déni : repérer tôt, sécuriser vite, soigner juste, entourer longtemps. L’homicide intrafamilial d’Al Haouz, qu’il ait été sous-médiatisé ou non, rappelle que la santé mentale n’est pas une affaire privée mais une urgence publique — et une condition de sécurité et de dignité.
Par Dr Wadih Rhondali – Psychiatre