En Algérie, la liberté d’expression sur les réseaux sociaux semble de plus en plus tenue en laisse. La condamnation de l’influenceuse marocaine « B. Fatma », connue sous le pseudonyme « Voix libre » sur TikTok, en est une illustration saisissante. Le tribunal de Chéraga l’a condamnée à deux ans de prison ferme et à une amende de 200 000 dinars algériens, pour des contenus supposément « nuisibles à la réputation de l’Algérie ».
Les faits s’accélèrent début novembre. Suite à des « signalements » d’internautes affirmant que certains de ses lives sur TikTok seraient offensants envers l’Algérie et ses citoyens, les services de sécurité se saisissent du dossier. La tiktokeuse est interpellée, placée en garde à vue, puis envoyée en détention provisoire à la prison de Koléa. Son parcours sur le territoire algérien est minutieusement reconstitué : séjours à Bordj Menaïel, Aïn Benian, Oran, Alger… comme si le simple fait de se déplacer et d’échanger avec d’autres utilisateurs des réseaux sociaux constituait une présomption de culpabilité.
Devant le tribunal de Chéraga, « B. Fatma » nie catégoriquement les accusations. Elle rappelle avoir vécu dix ans en Algérie, après un mariage de trente ans avec un citoyen algérien aujourd’hui décédé. Elle explique qu’elle continue à se rendre régulièrement dans le pays pour renouveler son titre de séjour. Loin de l’image d’une « agitatrice » de passage, se dessine celle d’une femme ayant tissé des liens profonds avec le pays.
Elle affirme n’avoir qu’un seul compte TikTok, intitulé « Le son libre soyez_respecté », qu’elle dit utiliser uniquement pour des échanges sociaux et culturels. Des propos confirmés par deux témoins à la barre.
La première, une Algérienne, amie proche de l’influenceuse, insiste : jamais elle ne l’a vue publier des contenus portant atteinte à l’Algérie. Les lives, assure-t-elle, étaient centrés sur des débats culturels et des échanges entre Marocains et Algériens, sans propos politiques ni insultes.
Le deuxième témoin, lui aussi utilisateur de TikTok, confirme avoir participé à plusieurs diffusions en direct avec « B. Fatma ». Là encore, les thèmes évoqués auraient surtout concerné les traditions des deux pays voisins, leurs cultures respectives, et non des attaques contre l’État algérien ou ses institutions.
Plus troublant encore, l’enquête technique menée par les services de sécurité n’aurait pas mis en évidence d’infraction clairement constituée. Malgré cela, le procureur requiert cinq ans de prison et une lourde amende de 500 000 dinars. Le tribunal prononcera finalement deux ans de prison ferme, peine qui reste extrêmement sévère au regard du dossier tel qu’il a été décrit à l’audience.
Ce contraste entre la faiblesse des éléments matériels et la dureté de la sanction interroge. Il soulève inévitablement la question de la criminalisation de la parole publique dès lors qu’elle ne s’inscrit pas dans le récit officiel. En Algérie, la frontière entre critique, débat, satire et « atteinte à la réputation du pays » semble de plus en plus floue – voire volontairement entretenue.
À l’heure où les réseaux sociaux constituent des espaces d’échanges transfrontaliers, le cas de « B. Fatma » donne le sentiment d’une volonté de faire un exemple : avertir ceux, Algériens ou étrangers, qui se risqueraient à discuter, comparer ou commenter la situation du pays devant une audience numérique.
En condamnant une influenceuse dont ni les témoins ni l’enquête technique n’ont pu démontrer clairement la culpabilité, la justice algérienne envoie un signal paradoxal : plus que la préservation de l’image du pays, c’est la peur de la parole libre qui semble guider la main du juge.
Et dans ce climat, la question demeure : qui, demain, pourra encore s’exprimer sans craindre que quelques signalements anonymes suffisent à le faire passer de l’écran de son téléphone au banc des accusés ?
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