L’essor fulgurant de l’intelligence artificielle (IA) dans les centres d’appels marocains suscite à la fois fascination et inquiétude. Si cette technologie promet une amélioration significative de la productivité et de l’efficacité, elle alimente également la peur d’une vague de licenciements dans un secteur qui emploie près de 110 000 personnes et contribue à 5 % du PIB national.
L’IA, un levier de transformation incontournable
Depuis plusieurs années, les centres de contacts ont commencé à intégrer l’IA pour optimiser leurs opérations. Mais l’évolution technologique s’est accélérée avec l’arrivée de l’intelligence artificielle générative, capable de gérer des interactions clients de plus en plus complexes. Intelcia, l’un des géants marocains du secteur, illustre parfaitement cette transition. Présente dans 18 pays, la multinationale emploie 1 800 salariés sur son site de Casablanca et déploie des technologies avancées pour automatiser des tâches autrefois réalisées par des téléopérateurs.
Aujourd’hui, les chatbots remplacent une partie des interactions humaines, tandis que des algorithmes de tri analysent des milliers d’appels enregistrés pour détecter d’éventuelles anomalies. Même le recrutement est désormais assisté par l’IA, qui scanne les CV et facilite la sélection des candidats.
Selon Youssef El Aoufir, directeur général d’Intelcia, « l’application de technologies d’intelligence artificielle nous permet d’aller très rapidement aux causes de déficiences, qu’elles soient humaines, technologiques ou liées aux process. » Il insiste sur le fait que malgré cette automatisation croissante, l’entreprise continue de recruter et observe une croissance annuelle.
Des syndicats inquiets face à une précarisation annoncée
Cependant, cette vision optimiste n’est pas partagée par tout le monde. Pour Ayoub Saoud, secrétaire général de la Fédération nationale des centres d’appels, l’introduction massive de l’IA se traduit nécessairement par une baisse du volume d’interactions gérées par les téléopérateurs. « Qui dit diminution d’interactions, dit diminution aussi de flux et de conseillers. C’est quelque chose d’évident », souligne-t-il.
Un récent rapport confirme ces craintes en indiquant que la durée moyenne de traitement des appels a chuté de 14 %, ce qui implique une réduction du besoin en main-d’œuvre. Dans un marché du travail où les centres d’appels sont souvent considérés comme une porte d’entrée vers l’emploi pour de nombreux jeunes diplômés, cette évolution risque d’engendrer une précarisation massive et une hausse du chômage.
L’avenir du secteur : adaptation ou suppression d’emplois ?
Le défi est désormais d’assurer une coexistence équilibrée entre l’homme et la machine. Si l’IA permet aux centres d’appels d’améliorer leur performance, il devient crucial de repenser les formations professionnelles et d’orienter les salariés vers des compétences complémentaires à celles de l’IA. L’enjeu est de taille : le Maroc doit éviter une crise sociale en trouvant des solutions pour préserver les emplois tout en embrassant le progrès technologique.
Dans ce contexte, syndicats et employeurs devront trouver un terrain d’entente pour encadrer cette transition et éviter que l’intelligence artificielle ne se transforme en un catalyseur du chômage plutôt qu’un levier d’évolution pour le marché du travail marocain.