Où en est l’IA au Maroc ? Pour l’heure, l’adoption avance à deux vitesses. Côté grand public, l’usage explose (assistants de rédaction, retouche d’images, traduction, révisions scolaires). Côté entreprises, l’intérêt est réel mais encore freiné par le manque de profils qualifiés, la gouvernance des données, le coût du calcul (GPU) et l’intégration dans les systèmes existants. Quelques pionniers testent l’IA pour la relation client, la détection de fraude, la maintenance prédictive ou l’analyse de documents. Dans l’administration, l’enjeu est d’abord la qualité des données et la sécurité.
La question qui fâche : l’IA servira-t-elle davantage les personnes que la productivité collective ? Sans garde-fous, elle peut déraper : désinformation, deepfakes, usurpations d’identité, arnaques, contenus trompeurs. Le maître-mot reste donc la prudence : technologie indispensable, mais à encadrer. Le risque d’une banalisation « fun »—au détriment du savoir et du savoir-être—rappelle les dérives déjà vues avec Internet et le smartphone.
Côté jeunesse, le débat doit aller au-delà du « pour ou contre ». L’IA peut enrichir l’apprentissage (tutoriels, résumés, exercices adaptés) si l’on fixe des règles claires : âge et temps d’écran, vérification des sources, filtres scolaires, éducation aux médias et au plagiat, et implication des enseignants (formations, guides d’usage).
Sur le plan des valeurs, l’IA doit rester conforme à nos cadres éthiques et juridiques : protection des données, non-discrimination, traçabilité. Concrètement : chartes d’usage en entreprise, watermarking des contenus générés, journaux d’audit, politique de données (où sont stockées ? qui y accède ?), et clauses IA dans les marchés publics. Le pays gagnerait à un “sandbox” réglementaire pour expérimenter en conditions réelles, à des programmes de re-/up-skilling ouverts (fonction publique, PME) et à une filière « IA locale » (arabe, darija, amazighe) pour coller à nos besoins.
Le ministère en charge travaille au cadre législatif ; il faudra l’articuler avec la cybersécurité, la protection de la vie privée et l’école. Le débat ne fait que commencer : mieux vaut l’orienter par des standards clairs, des projets utiles et des compétences plutôt que par des promesses ou des peurs.
Par Salma Semmar
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