À Casablanca, le célèbre Souk Dallas, connu pour être l’un des plus grands marchés informels de la ferraille au Maroc, vit depuis mardi une transformation radicale. Les autorités de la préfecture de Hay Hassani ont lancé une vaste opération de démolition, mobilisant bulldozers, agents de l’ordre et services de police. Objectif affiché : reprendre le contrôle de l’espace public et lutter contre l’occupation anarchique qui règne dans ce secteur depuis des décennies.
Une opération musclée au nom de l’ordre urbain
Les rues, ruelles, trottoirs et façades longtemps encombrés par des installations sauvages sont progressivement libérés. Cette campagne, bien que saluée par une partie des habitants lassés par l’occupation illégale du domaine public, provoque une onde de choc chez les commerçants, qui dénoncent une démarche unilatérale et brutale.
« Nous sommes là depuis 1987. Ce souk, c’est notre vie, notre dignité, notre gagne-pain », confie Ibrahim Zrik, président de la Fédération de la ferraille du Souk Dallas. Avec près de 943 magasins recensés, ce marché abrite une multitude de petits métiers allant des ferrailleurs aux vendeurs de fruits, en passant par les tailleurs, les bouchers et les marchands d’articles d’occasion. Pour eux, la surprise est totale.
Un dialogue rompu et des promesses non tenues ?
Selon les représentants du souk, des discussions étaient en cours avec les autorités locales. Un site de relogement aurait même été évoqué près de l’ancienne décharge de Médiouna, sur un terrain de 260 hectares dont une partie serait réservée à l’activité des ferrailleurs. « Nous avions accepté ce principe, à l’image de nos collègues de Sbata ou Sidi Moumen », explique Zrik. « Mais aujourd’hui, les engins détruisent tout avant même qu’une solution concrète ne soit mise sur la table. »
Un sentiment partagé par Mohamed Achak, autre représentant des commerçants, qui exprime sa stupeur : « Nous avions tenu une réunion avec le président de l’arrondissement. On nous parlait de nettoyage et de réorganisation. Nous étions favorables. Mais ce que nous vivons là, c’est une expulsion sans préavis. »
L’État avance, mais la fracture sociale persiste
Il faut néanmoins replacer cette opération dans un cadre plus large : le grand chantier de réaménagement urbain initié à Casablanca et dans d’autres villes du Royaume. Les autorités semblent décidées à mettre fin à l’anarchie urbaine, à améliorer les conditions de vie, et à créer un cadre plus digne pour les citoyens et les commerçants, dans une logique d’ordre, de propreté et de sécurité.
Mais ce tournant urbanistique se heurte à une réalité sociale complexe. La précipitation de l’intervention, l’absence d’alternative claire et la fragilité économique des populations concernées accentuent le sentiment d’injustice. Beaucoup voient dans ces démolitions une volonté de moderniser les villes… sans les gens qui les font vivre.
Un Maroc en mutation, mais à quel prix ?
Ce que révèle l’affaire du Souk Dallas, c’est ce tiraillement entre deux Maroc : celui qui construit, qui modernise, qui trace des avenues propres et structurées… et celui qui lutte, chaque jour, pour survivre dans les marges. Le message des autorités est clair : l’anarchie doit céder la place à l’ordre. Mais encore faut-il que cela se fasse dans la concertation et dans la justice sociale.
Si le Maroc avance vers un avenir plus organisé et plus moderne, il ne pourra y parvenir durablement sans intégrer les voix de ceux qui, dans les souks, les quartiers populaires ou les petits commerces, participent aussi à faire battre le cœur du pays.