Devant des kiosques qui se vident à vue d’œil, la scène parle d’elle-même : la presse écrite marocaine vit l’une des pires crises de son histoire. Tirages en chute libre, lectorat évaporé, recettes publicitaires asséchées ; la courbe est désormais structurelle. À en juger par l’érosion continue des ventes et la désertion des annonceurs, c’est bien la fin d’un cycle qui se joue, après des décennies où le papier façonnait l’opinion.
Longtemps perçues comme bouée de sauvetage, les subventions publiques n’offrent plus qu’un répit précaire. Le ministère de la Communication, sommé d’adosser l’aide à l’efficacité et à la transparence, annonce un tour de vis : cibler mieux, contrôler davantage, éviter l’« arrosage » sans impact — image d’une eau versée sur du sable. Dans un contexte où les coûts d’impression, de distribution et de main-d’œuvre ne cessent d’augmenter, les plans de restructuration se succèdent sans inverser la tendance.
Le tournant numérique apparaît dès lors comme l’unique porte de sortie. Mais la migration impose ses propres épreuves : modèles économiques fragiles, marché publicitaire digital encore étroit et volatil, dépendance aux plateformes, déficit de régulation, guerres d’audience… La promesse d’agilité se heurte à la réalité d’un écosystème où l’attention est rare et chère. Les rédactions doivent réinventer formats, rythme, référencement, relation abonnés et mesure d’impact, tout en sauvegardant les standards du métier.
Le désamour des lecteurs est, lui, implacable. En arabe comme en français, la fidélité aux titres historiques s’est effritée, avec une baisse estimée à 70 % du lectorat. Le temps long de la lecture papier se heurte à la consommation instantanée, à la vidéo courte et aux fils en continu. La hiérarchie de l’information se redessine sous l’injonction de l’algorithme ; l’éditorial doit redoubler d’exigence pour surnager dans le flux.
Reste l’enjeu démocratique : sans presse solide, pas de contre-pouvoir durable. Le défi n’est pas de pleurer le papier, mais de transplanter la valeur journalistique, enquête, vérification, mise en perspective, dans l’univers numérique. Pour survivre, les éditeurs devront conjuguer diversification (événements, services, studios), abonnements hybrides, data-marketing responsable et alliances industrielles.
Conclusion. Une ère s’achève, une autre s’installe. Le Maroc n’échappe pas à un phénomène mondial : la suprématie du papier cède la place au tout-digital. À charge, désormais, pour les médias d’y gagner non seulement des lecteurs, mais une nouvelle crédibilité.
Par Salma Semmar