Un séisme politique et judiciaire secoue de nouveau la Tunisie. Ce vendredi, l’ancien Premier ministre et figure de proue du mouvement islamiste Ennahdha, Ali Laarayedh, a été condamné à 34 ans de réclusion par un tribunal pénal de Tunis. Le verdict, aussi spectaculaire que controversé, intervient dans le cadre d’une affaire liée à l’envoi présumé de jeunes Tunisiens dans les foyers jihadistes du Moyen-Orient au lendemain de la Révolution de 2011.
Aux côtés de Laarayedh, deux anciens hauts responsables sécuritaires, Fathi Beldi et Abdelkrim Labidi, ont écopé de 26 ans de prison chacun. En tout, huit personnes ont été jugées dans ce dossier aux ramifications géopolitiques lourdes, les peines allant de 18 à 36 ans de détention. L’ex-Premier ministre, également ancien ministre de l’Intérieur, est accusé de participation à une organisation terroriste et de facilitation du départ de jihadistes tunisiens vers l’Irak, la Syrie et la Libye.
Un dossier hautement symbolique dans un pays qui, entre 2011 et 2016, a vu partir plus de 5.500 de ses ressortissants rejoindre les rangs du groupe État islamique ou d’autres factions radicales. Un chiffre qui place la Tunisie parmi les plus grands pourvoyeurs de combattants étrangers.
Depuis sa cellule, Laarayedh nie catégoriquement les accusations. Dans une lettre adressée au parquet le 18 avril dernier, il se dit « victime » et qualifie le dossier de pure fabrication politique. Une défense reprise par son avocat, Me Oussama Bouthelja, qui évoque l’absence de preuves matérielles et le refus du tribunal d’entendre plusieurs anciens responsables du ministère de l’Intérieur.
Ce procès intervient dans un climat institutionnel tendu. Depuis le coup de force de juillet 2021 par lequel le président Kaïs Saïed s’est arrogé les pleins pouvoirs, les institutions tunisiennes vivent sous tension. Ennahdha, autrefois acteur dominant de la scène politique, est désormais ouvertement ciblé par le chef de l’État qui l’accuse d’avoir sapé la transition démocratique.
À Tunis comme à l’international, la condamnation d’Ali Laarayedh pose de nombreuses questions. S’agit-il d’une mise en lumière des responsabilités dans la dérive jihadiste post-révolutionnaire ? Ou d’une opération d’épuration politique déguisée en justice antiterroriste ?
Les prochains mois diront si ce procès restera comme un moment de vérité ou un tournant dans la neutralisation judiciaire de l’opposition islamiste en Tunisie.
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