Au Maroc, le football n’est pas un simple spectacle : c’est une appartenance. Après la Coupe du monde 2022, nos Lions de l’Atlas ont été reçus et honorés par Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Depuis, ils tiennent la place de héros sociaux : ils ont rendu visible une fierté longtemps contenue. Leur maillot n’est donc pas “un textile” : c’est un emblème. Or, aujourd’hui, son prix raconte aussi autre chose : l’écart entre la fierté partagée et le pouvoir d’achat réel. Sur la boutique de la FRMF, un maillot adulte est affiché 850 MAD (et 950 MAD avec flocage), la version 22/23 à 595 MAD ; en duty-free, c’est 75 € l’adulte et 55 € l’enfant. Dans les souks, les copies circulent à 150–250 MAD. Personne n’a triché sur l’amour du drapeau ; la question est plus simple et plus rude : qui peut payer ?
Le maillot, thermomètre social
Dans beaucoup de foyers, 600 à 950 MAD représentent plusieurs jours de vie. Demander à des parents de choisir entre l’épicerie et un symbole national les met dans une impasse morale : aimer son pays… sans pouvoir l’arborer. Et l’on voit se dessiner un pays à deux vitesses jusque sur les épaules : l’original pour certains, la copie pour d’autres, rien du tout pour beaucoup. Le sujet n’est pas de désigner des “vrais” ou des “faux” supporters. Le sujet, c’est l’accès.
Si la contrefaçon prospère, ce n’est pas par manque de patriotisme… c’est par manque d’adaptation du prix à la réalité de la vie.
Cette phrase peut choquer ; elle est surtout utile. Elle déplace la charge morale du côté du système de prix, pas des familles. Elle n’excuse pas les faux maillots ; elle diagnostique les conditions qui les rendent inévitables.
Ce que coûte (vraiment) un maillot, et qui gagne quoi — en bref
Sans entrer dans les secrets industriels, les ordres de grandeur sont connus dans le monde du sport : le coût de fabrication d’un réplica tourne autour d’une dizaine d’euros. Ensuite, la chaîne de valeur prend la main : marque/équipementier et détaillant captent l’essentiel ; TVA et licences se partagent une part plus faible ; la fédération touche surtout via son contrat d’équipementier (au Maroc, le passage à Puma a significativement augmenté l’enveloppe annuelle). À côté de cela, l’équipe et la fédération reçoivent chaque année des dotations et parrainages (en numéraire et en nature : primes, équipements, activations média) pour promouvoir l’image des Lions et du football marocain. Tout cela est légitime ; mais les grands gagnants doivent rester le public – celui par lequel l’expérience du foot existe, remplit les stades, fait monter l’audience TV, nourrit la légende.
Ne pas faire le procès, proposer un cadre
Respect pour la FRMF, pour les joueurs, pour l’équipementier : chacun a ses coûts, ses contrats, ses engagements. Mais la boussole doit rester claire : un symbole national doit rester accessible. Comment avancer sans affaiblir l’écosystème et sans encourager le marché parallèle ?
1) Uneédition populaire officielle
Même design, textile simplifié, traçabilité (QR anti-contrefaçon), prix cible ≤ 199 MAD. On ne crée pas une “seconde classe” : on ouvre une porte digne d’entrée dans l’officiel. Plus de volume légal, moins d’espace pour les copies.
2) Tarification solidaire sur les canaux officiels
Réductions automatiques pour jeunes/étudiants/AMO, packs famille les jours de match, quotas régionaux lors des rencontres à domicile. La FRMF reste maîtresse des prix, mais reconnaît la diversité des budgets.
3) Licence “Made in Morocco”
Confier l’édition populaire à des ateliers et coopératives textiles marocains (cahier des charges + contrôle qualité). On protège l’emblème, on crée de l’emploi et on ancre la fierté dans la chaîne de valeur locale.
La place des héros, la place du peuple
Nos joueurs ont été honorés par le Souverain parce qu’ils ont élevé tout un pays. Leur maillot est devenu un drapeau porté. Dès lors, alignons notre politique de prix avec cette vérité : ce qui incarne la nation ne devrait pas exclure la nation. L’économie du sport est complexe, oui ; mais elle doit rester au service de la relation équipe–peuple. Tant que l’original sera vécu comme un luxe, la contrefaçon fera office de raccourci. Si l’édition populaire existe, si les tarifs solidaires sont clairs, si la production locale est valorisée, le choix officiel redeviendra naturel.
Conclusion
Il n’y a pas “les bons” et “les mauvais”. Il y a un symbole qui nous dépasse et un prix qui, parfois, nous arrête. Nous payons au Maroc des tarifs alignés sur Paris ou Munich, mais nous ne vivons pas avec les mêmes salaires. Tant que les prix resteront calés sur des standards internationaux, l’accès restera localement inéquitable. Le rôle de la fédération, des sponsors et de l’équipementier est d’ouvrir ce symbole, pas de l’éloigner. Un maillot qui nous unit ne doit pas nous diviser. Restons dignes : reconnaissons la réalité du pouvoir d’achat, proposons une édition populaire officielle, organisons une tarification solidaire, fabriquons local quand c’est possible. Ainsi, lors des prochaines soirées de gloire, le rouge ne sera plus un marqueur social : il sera notre bien commun, porté par toutes et tous – à la hauteur des héros que le Maroc a salués.
Par Dr Wadih Rhondali – Psychiatre










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