Les Marocains ne supportent plus la chaleur comme autrefois. Ce constat s’impose avec une évidence croissante, à mesure que les températures, dans certaines régions du Royaume, flirtent avec les 50 °C. Même les villes côtières, réputées pour leurs brises tempérées, suffoquent sous des pics qui dépassent allègrement les 30 °C. La canicule actuelle n’a rien d’un simple épisode d’été : elle est vécue comme une épreuve, marquant une rupture avec une époque où les fortes chaleurs étaient encore perçues comme naturelles, passagères et surmontables.
Autrefois, les générations précédentes vivaient la saison estivale avec résilience, adaptant leur quotidien avec des moyens simples : repas légers, repos aux heures les plus chaudes, protection des plus fragiles – enfants, personnes âgées, bétail – en zones rurales. Malgré des températures déjà élevées à l’époque, le corps et l’esprit semblaient mieux préparés. Aujourd’hui, cette capacité d’endurance s’est effritée.
Une chaleur devenue lourde, étouffante… et omniprésente
Ce qui frappe dans les témoignages actuels, notamment sur les réseaux sociaux, c’est l’impression d’une chaleur plus lourde, plus humide, plus constante. À Casablanca, Rabat, Marrakech ou Fès, les habitants évoquent des journées entières passées cloîtrés chez eux, refusant de sortir sauf nécessité absolue. À Marrakech, ville pourtant habituée à des étés de feu, certains ne sortent qu’après le coucher du soleil, signe d’un changement profond dans les comportements.
Les moyens traditionnels de rafraîchissement – éventails, ventilateurs, linges humides – semblent dépassés. L’air conditionné est devenu roi, entraînant une explosion du marché des climatiseurs et un bond de la consommation électrique. Mais pour une grande partie de la population, ces équipements restent inaccessibles, accentuant une inégalité thermique entre les ménages.
Une alerte sanitaire silencieuse
Derrière ce bouleversement thermique, un risque grandit : la crise sanitaire liée à la canicule. Les hôpitaux enregistrent une hausse des cas de déshydratation, de malaises, de tensions artérielles déstabilisées et de troubles respiratoires, particulièrement chez les populations les plus vulnérables. Le Maroc, à l’image de nombreux pays du Sud, ne dispose pas encore de dispositifs systématisés de prévention (alertes, centres de rafraîchissement, campagnes publiques ciblées), laissant les citoyens seuls face à une chaleur potentiellement mortelle.
Un impact économique sous-estimé
La canicule ne se contente pas de perturber la vie domestique : elle affecte également l’économie. Dans les secteurs extérieurs comme le BTP ou l’agriculture, la productivité chute brutalement. Les commerces enregistrent des pertes dues à la baisse de fréquentation en journée. Quant à l’élevage et aux récoltes, les conséquences d’un stress thermique prolongé pourraient se faire sentir sur les prix à la consommation, dans un pays déjà soumis à une forte pression inflationniste.
Une transition climatique mal anticipée
Face à ces signaux d’alarme, une question cruciale demeure : le Maroc est-il prêt pour la nouvelle réalité climatique ? À ce jour, il n’existe ni plan national spécifique contre la canicule, ni politique urbaine généralisée visant à adapter les infrastructures (végétalisation, matériaux isolants, ventilation naturelle). Le pays reste exposé, sans protection systémique, alors même que les étés risquent de devenir plus longs, plus chauds, plus fréquents.
Le climat change, et nous ?
Si les fortes chaleurs faisaient autrefois partie du cycle naturel du pays, elles prennent aujourd’hui une dimension inédite. Le dérèglement climatique n’est plus une menace lointaine : il est là, tangible, brûlant. La question n’est plus de savoir si la chaleur deviendra invivable, mais quand et avec quelles conséquences. À nous d’adapter nos villes, nos modes de vie, notre modèle de développement, car la chaleur ne nous attendra pas.
Salma Semmar