À écouter les jeunes Marocains reprendre par cœur et en chœur la dernière chanson « Ha Oulidi » de la chanteuse Jaylann, récemment reconvertie à la chanson populaire avec un texte rassembleur et mobilisateur, l’on peut en déduire qu’ils se laissent imprégner d’un fort sentiment d’appartenance à leur pays, à l’image de l’hymne national. Ce phénomène, observé dans les stades, les festivals et sur les réseaux sociaux, illustre une nouvelle forme d’expression patriotique à la fois émotionnelle et virale.
Leurs aînés l’ont également été, mais avec moins d’enthousiasme, jugeant que le patriotisme est une affaire personnelle qui ne nécessite pas d’être exhibée en public. Cette différence générationnelle s’explique par des contextes historiques et sociaux distincts. Les générations précédentes, façonnées par les luttes de l’indépendance ou les défis de l’après-protectorat, avaient une conception plus discrète, mais non moins sincère, du patriotisme.
Moins exposés aux conflits, aux guerres et à la dure réalité du protectorat, les jeunes d’aujourd’hui n’en seraient pas moins réactifs en cas de crise. Leur principal levier : les réseaux sociaux. En cas d’appel à la mobilisation nationale, ils répondraient avec force numérique et créativité digitale, donnant naissance à une forme de patriotisme 2.0.
Bien que peu familiarisés avec l’histoire du pays en comparaison avec leurs aînés, les générations actuelles démontrent un réel intérêt pour leur passé. Grâce aux avancées technologiques, elles accèdent à des contenus historiques vulgarisés et engageants, comme en témoignent les chiffres de lecture des pages d’histoire sur Internet et le succès constant de la revue « Zamane », qui propose une relecture captivante du passé marocain.
En attendant une étude approfondie sur le degré de patriotisme chez les jeunes Marocains, ces derniers continuent à l’exprimer à travers les moyens qui leur parlent le plus : la musique, les clips vidéo, les stories sur Instagram ou encore les messages de soutien à l’équipe nationale.
Au-delà des chansons et des images partagées en ligne, d’autres facteurs influencent l’expression du patriotisme chez les jeunes Marocains. L’école, censée être un pilier de la transmission des valeurs nationales, semble parfois en retrait, alors même qu’elle pourrait jouer un rôle central à travers des cours d’histoire vivants et des activités citoyennes engageantes. Le patriotisme se forge aussi par l’admiration pour des figures emblématiques, qu’elles soient sportives, comme les Lions de l’Atlas, ou artistiques, et qui véhiculent une image moderne et inspirante du Maroc à l’international. Par ailleurs, il existe une diversité dans la manière d’exprimer ce sentiment selon les milieux : les jeunes en milieu rural, plus ancrés dans les traditions, manifestent un attachement profond à la terre et aux symboles du pays, tandis que les jeunes urbains, plus connectés, traduisent leur amour du Maroc à travers les réseaux sociaux et la consommation culturelle. Enfin, si ce patriotisme semble sincère, il reste essentiel de s’interroger sur sa profondeur : se traduit-il par un véritable engagement citoyen, ou reste-t-il une émotion passagère et symbolique ? Et face à une jeunesse mobilisable à tout moment par l’image et la musique, ne faudrait-il pas également rester vigilant quant aux tentatives de récupération politique de ce sentiment collectif ?
Par Salma Semmar