Au Maroc, le livre ne fait plus recette. Ce désamour, bien ancré dans les habitudes culturelles, trouve ses origines dans des réalités économiques, éducatives et technologiques, qui, mises bout à bout, expliquent l’effondrement progressif de la lecture dans le Royaume.
Tout a commencé avec un frein structurel : le pouvoir d’achat très bas des citoyens, qui ne pouvaient tout simplement pas se permettre d’acheter des livres, souvent onéreux. De là, deux catégories se sont progressivement dessinées : d’un côté, un public francophone, généralement plus aisé, achetant des ouvrages importés de France à des prix élevés ; de l’autre, un lectorat arabophone, plus attaché aux librairies traditionnelles, où les livres en arabe classique sont proposés à bas coût mais restent peu attractifs pour le grand public, faute d’une offre romanesque riche ou accessible.
Avec l’irruption du numérique et du smartphone, l’acte de lire a été sacrifié au profit du défilement d’écrans. Selon une étude parue début 2025, les ventes en librairies ont chuté de plus de 80 %, un effondrement dramatique qui n’épargne ni les ouvrages en arabe, ni ceux en français.
Face à cette tendance, quelques librairies résistent encore, tant bien que mal, dans les grandes villes, tandis que certaines librairies arabophones tentent de survivre grâce à une politique de prix cassés. Mais ces efforts isolés ne suffisent pas à redresser une situation qui relève désormais du défi national.
D’autant plus que les politiques publiques font cruellement défaut : aucune campagne nationale de sensibilisation, aucune incitation fiscale à l’achat de livres, ni stratégie de long terme pour intégrer la lecture dans les politiques culturelles. À l’inverse, des pays comme la France, l’Italie ou la Suède protègent leur patrimoine littéraire comme un pilier de civilisation.
Autre obstacle majeur : l’état des bibliothèques publiques. Peu nombreuses, souvent vétustes, elles ne sont ni modernes ni accueillantes. Elles souffrent d’un cruel manque d’animations, de médiation culturelle et d’horaires adaptés. Résultat : elles sont désertées, notamment par la jeunesse.
Enfin, le système éducatif marocain n’aide pas à renverser la tendance. L’enseignement de la littérature reste rigide, centré sur la récitation et la mémorisation. Aucun espace n’est donné à la lecture plaisir, à la découverte ou à la critique littéraire. L’école forme à la réussite académique, mais pas à l’amour du livre.
Alors que le monde redécouvre les vertus de la lecture dans un monde saturé d’images, le Maroc semble abandonner le combat. Pourtant, les professionnels du secteur et les enseignants tirent la sonnette d’alarme depuis des années. Le sursaut salvateur viendra-t-il des pouvoirs publics avant qu’il ne soit trop tard ?
Par Salma Semmar