Alors que le Maroc s’engage résolument dans la préparation de la Coupe du Monde de football 2030, qu’il coorganisera avec l’Espagne et le Portugal, une question demeure en toile de fond : les Marocains adhèrent-ils pleinement à ce projet d’envergure mondiale ? La réponse, à l’heure actuelle, reste nuancée, tiraillée entre enthousiasme officiel et scepticisme populaire.
Sur le terrain, le pays multiplie les chantiers structurants, modernise ses infrastructures, investit massivement dans les transports, les stades, les hôtels, mais aussi dans les connexions numériques. Ce bond en avant s’accompagne inévitablement d’un endettement accru et de pressions sur les finances publiques. Un effort considérable que de nombreux citoyens, notamment issus des classes moyennes et populaires, ont du mal à relier à leur quotidien. Pour beaucoup, le Mondial reste un événement lointain, sinon élitiste, destiné à « faire briller l’image du pays » et à stimuler un tourisme de luxe dont ils ne verront ni les retombées ni les bénéfices directs.
Dans les quartiers précaires, les opinions sont plus tranchées encore. Là, les destructions de logements informels et le coût de la vie grimpant sont rapidement – et parfois injustement – attribués au Mondial. L’idée d’un sacrifice imposé au profit d’un événement mondial perçu comme excluant est tenace. Peu savent que les démolitions répondent à une stratégie nationale de lutte contre l’habitat insalubre, ou que l’inflation résulte en grande partie de facteurs extérieurs, liés à l’instabilité géopolitique mondiale.
Ce malentendu révèle une fracture de compréhension, que la communication institutionnelle peine encore à combler. Pourtant, selon les autorités, l’organisation du Mondial n’est pas un caprice, mais bien un accélérateur de développement, un levier pour rattraper un retard structurel accumulé pendant deux décennies. Les projets lancés aujourd’hui, affirment les responsables, dépasseront largement le cadre de l’événement et bénéficieront durablement aux citoyens, en matière de mobilité, d’emplois, d’accès aux équipements et de qualité de vie.
Le Mondial, levier d’emplois et d’opportunités économiques
L’un des bénéfices souvent méconnus de l’organisation du Mondial 2030 est son impact sur l’emploi et l’économie locale. Les travaux d’infrastructures, les services logistiques, la sécurité, l’hébergement ou encore les métiers de l’événementiel vont générer des dizaines de milliers d’emplois, temporaires comme durables. Des programmes de formation ciblés sont d’ailleurs prévus pour les jeunes, avec l’objectif d’intégrer ces chantiers et de capitaliser sur les compétences acquises pour l’après-Mondial.
Un impact au-delà des villes hôtes
Autre point essentiel : l’équilibre territorial du développement. Si les grandes métropoles comme Casablanca, Rabat, Marrakech ou Tanger bénéficieront d’investissements directs, plusieurs projets annexes visent à désenclaver d’autres régions. Routes secondaires, gares, stades d’entraînement ou pôles de tourisme sportif sont programmés dans des zones souvent oubliées des grands projets. Cela permettrait d’éviter que le Mondial ne profite qu’à une élite urbaine, et qu’il devienne au contraire un outil d’aménagement du territoire et de justice spatiale.
Mais l’adhésion ne se décrète pas. Elle se construit.
Il appartient désormais au gouvernement d’engager un véritable travail de pédagogie, pour expliquer, rassurer et inclure. Il est urgent de combattre ce sentiment d’exclusion, de corriger les idées reçues, et surtout, de faire comprendre que la Coupe du Monde 2030 est un projet national, et non l’apanage d’une élite. À ce titre, les partis politiques ont un rôle majeur à jouer. Maintenant ou jamais, ils doivent prouver leur capacité à encadrer, à informer, à dialoguer, et à relier les citoyens aux grandes dynamiques du pays. Faute de quoi, cette grande fête pourrait se heurter à une indifférence amère, voire à des tensions sociales mal contenues.
Par Salma Semmar