À l’occasion des premières assises sur l’intelligence artificielle récemment organisées au Maroc, un atelier a retenu une attention particulière : celui consacré aux métiers potentiellement menacés ou transformés par cette technologie en pleine expansion. En tête des professions évoquées, le journalisme suscite un vif débat, à la croisée de la technique, de l’éthique et de l’humain.
De plus en plus de médias à travers le monde expérimentent aujourd’hui l’intelligence artificielle dans leurs salles de rédaction. Des agences comme Bloomberg ou Associated Press utilisent des algorithmes pour rédiger automatiquement des dépêches financières ou sportives, avec une efficacité remarquable. Certains titres de presse français ont même commencé à automatiser des résumés d’articles ou à tester des IA pour suggérer des titres ou angles de traitement. Loin d’être de la science-fiction, l’IA est déjà là, intégrée discrètement comme outil d’assistance.
Mais peut-elle remplacer un journaliste dans toutes ses missions ? Les retours d’expérience en Europe et aux États-Unis, évoqués durant l’atelier, sont mitigés. Si l’IA sait parfaitement rédiger un texte structuré à partir de données, elle reste incapable de mener une enquête, de faire preuve d’intuition, d’interroger une source, ou de capturer l’émotion d’un événement. Les domaines comme le journalisme d’investigation, le reportage de terrain, la photographie d’actualité ou encore la chronique personnelle, demeurent profondément humains.
L’une des limites majeures soulignées est d’ordre éthique. Contrairement à un journaliste, une intelligence artificielle ne peut pas faire preuve de discernement, respecter une ligne éditoriale, ou vérifier les intentions derrière une information. Elle ne connaît ni la déontologie, ni le contexte social et politique dans lequel elle s’exprime. Pire, mal encadrée, elle pourrait même devenir un canal de désinformation, en diffusant des contenus non vérifiés ou manipulés.
Autre enjeu de taille : la relation avec le lecteur. Une question s’impose : fera-t-on encore confiance à une information produite par une machine ? Pour beaucoup, la légitimité du journalisme repose aussi sur la crédibilité de la personne qui l’exerce. L’identité, l’expérience, l’engagement et la responsabilité du journaliste incarnent la fiabilité d’un média. Et ce lien humain, même imparfait, est difficilement remplaçable.
Le débat s’est également étendu à l’avenir des jeunes journalistes. À l’ère de l’IA, de nouvelles compétences deviennent essentielles : maîtrise des outils numériques, data journalisme, IA éthique, vérification des faits automatisée… Les écoles de journalisme devront s’adapter, tout comme les rédactions qui devront apprendre à collaborer avec la machine, plutôt que de la subir.
Au terme des échanges, un consensus s’est dégagé : tout comme le rôle du médecin ou du juge, celui du journaliste ne peut être totalement confié à l’intelligence artificielle. L’IA peut accompagner, assister, accélérer certaines tâches, mais elle ne remplacera pas cette voix humaine, critique, engagée, indispensable au bon fonctionnement des démocraties.
Reste une dernière question en suspens : pour combien de temps encore tiendra cette frontière entre l’homme et la machine dans les médias ?
Par Salma Semmar