Marrakech, jadis symbole de raffinement, de patrimoine vivant et de convivialité marocaine, semble aujourd’hui traverser une crise d’identité aussi profonde qu’inquiétante. Derrière son apparente modernité et son rayonnement touristique mondial, la ville ocre laisse entrevoir un processus de transformation qui, pour beaucoup, ressemble à une lente défiguration.
Les Marrakchis les plus attachés à leur ville en témoignent avec amertume : la Marrakech d’hier, celle des traditions, de l’architecture harmonieuse, des souks authentiques et de l’art de vivre local, s’efface jour après jour. Le boom immobilier, les investissements étrangers, les résidences de luxe et les grands hôtels ont redessiné la ville, parfois sans plan d’ensemble, souvent au détriment de son âme.
Ce changement est incarné par une nouvelle population composite venue s’installer ou spéculer. On y retrouve des investisseurs dans l’hôtellerie et la restauration, des retraités étrangers attirés par le climat, mais aussi — plus discrètement — des individus peu recommandables, profitant des failles pour fuir la justice ou développer des trafics. La médina, cœur historique et spirituel de la ville, est particulièrement touchée. Des quartiers entiers y sont rachetés, rénovés à la hâte, transformés en maisons d’hôtes stéréotypées, parfois en contradiction totale avec l’identité architecturale et sociale du lieu.
Dans cette nouvelle Marrakech, les 4×4 dernier cri croisent les calèches et les charrettes, dans un ballet urbain chaotique. Les touristes, qu’ils soient friands de luxe ou adeptes du low-cost, ne voient souvent de la ville que ses clichés : ses riads décorés à l’occidentale, ses spectacles folkloriques calibrés, et ses marchés orientalisés pour les caméras. Les circuits « tout compris » saturent les structures d’accueil, vidant de sens l’expérience du voyage et ne laissant de Marrakech qu’un décor commercialisé.
Mais au-delà de cette perte visible de repères, la ville subit aussi une marchandisation accélérée de sa culture : l’artisanat, les arts populaires et même la gastronomie sont mis en scène pour séduire les visiteurs, au détriment de leur transmission authentique. Les habitants du centre historique sont poussés hors des murs, chassés par la flambée des loyers et des rachats. À cela s’ajoute une absence criante de vision urbanistique cohérente pour protéger le patrimoine. Le tout dans un contexte écologique tendu, où les ressources — notamment l’eau — sont épuisées par la prolifération de resorts, de piscines et d’événements luxueux. Marrakech est aussi devenue une ville vitrine, choisie pour accueillir festivals, sommets ou mariages de stars, cultivant une image de carte postale en rupture totale avec la réalité sociale et environnementale locale.
Face à cette désagrégation progressive, rares sont ceux qui osent encore croire à une possible reconquête de l’âme de la ville. Mais ils existent. Associations patrimoniales, citoyens engagés, artisans résistants… tous tentent, chacun à leur niveau, de préserver les dernières étincelles d’un héritage menacé. Leur combat est difficile, presque inégal, mais il mérite d’être salué.
Car si Marrakech veut préserver sa légende et ne pas devenir un simple décor de cinéma figé dans une illusion touristique, elle devra retrouver un équilibre entre développement et respect, entre hospitalité et protection, entre ouverture au monde et fidélité à ses racines.
Par Salma Semmar
Il est trop tard. Le retour en arrière est impossible. Vive l’argent comme repère. Le Maroc d’aujourd’hui n’a plus d’âme ni de principes ni de religion. La seule valeur adulée et idolâtrée est l’argent.
Très bonne analyse.Effectivement,on continue de détruire cette ville.Bientôt elle ne ressemblera à rien du tout.
Comme bien d’autres agglomérations d’ailleurs.