Depuis plus d’une semaine, le Moyen-Orient est le théâtre d’une confrontation directe entre l’Iran et Israël, un scénario qui, il y a peu, relevait de la pire des craintes. Frappes aériennes massives, attaques de drones, ripostes ciblées : la région tangue dangereusement au bord d’un embrasement généralisé. Cette escalade militaire n’est pas seulement un conflit régional ; elle est le miroir des fractures profondes qui traversent l’ordre mondial et la politique internationale, avec des lectures radicalement divergentes selon les capitales.
Washington : Le Retour de la « Force par la Paix » façon Trump
Avec le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, le ton a radicalement changé. Fini les nuances diplomatiques, place à une approche plus dure et directe. Trump n’a jamais caché son mépris pour l’accord sur le nucléaire iranien, qu’il avait déchiré en 2018. Aujourd’hui, son soutien à Israël est inconditionnel, qualifiant les frappes israéliennes de « légitimes et nécessaires » face à une « menace terroriste nucléaire ».
La stratégie trumpienne est limpide : pas de négociation avec Téhéran tant que l’Iran représente un danger pour la sécurité d’Israël et de ses alliés du Golfe. Le renforcement militaire américain dans la région, couplé à l’avertissement que les États-Unis « ne reculeront pas devant un conflit s’il est imposé », envoie un message clair. Cette politique, si elle vise à dissuader l’Iran de toute escalade nucléaire ou régionale, risque paradoxalement de le pousser dans ses retranchements, augmentant le risque d’erreurs de calcul aux conséquences incalculables.
L’Europe : L’Inquiétude d’un Spectateur Marginalisé
En Europe, le conflit est observé avec une inquiétude croissante. Paris, Berlin et Rome dénoncent l’escalade, mais se retrouvent politiquement marginalisées. Le retour de Trump, qui méprise les médiations européennes et les accuse de faiblesse face à l’Iran, réduit considérablement leur marge de manœuvre.
L’Union européenne appelle à une désescalade immédiate et envisage des sanctions économiques. Cependant, la division interne de l’UE – entre un soutien moral à Israël et le respect du droit international, notamment la protection des civils – limite son poids réel. L’Europe est à la fois potentiellement victime de l’instabilité régionale (flux de réfugiés, crise énergétique) et spectatrice impuissante des grandes manœuvres géopolitiques orchestrées outre-Atlantique.
Moscou et Pékin : Arbitres Discrets et Opportunistes
La Russie, affaiblie par le conflit en Ukraine, observe cette guerre avec un certain cynisme. Un Moyen-Orient instable détourne l’attention occidentale et offre au Kremlin des marges de manœuvre supplémentaires. Proche militairement de l’Iran en Syrie, Moscou se présente comme un acteur de « stabilisation » tout en profitant de la dépendance iranienne à son système d’armement. C’est une aubaine pour consolider son influence sans engager de ressources directes.
La Chine, pour sa part, joue la carte de l’arbitre discret. Pékin craint avant tout une flambée des prix de l’énergie, vitale pour son économie. Mais le chaos offre aussi une occasion stratégique de renforcer ses liens avec les pays du Golfe et de poursuivre ses accords stratégiques avec l’Iran. La Chine appelle au calme, mais sans condamner aucune partie, adoptant une posture pragmatique qui lui permet de maintenir des ponts avec tous les acteurs et de capitaliser sur les vulnérabilités d’un ordre mondial en mutation.
Le Monde Arabe : Entre Colère Populaire et Prudence des Régimes
Dans la rue arabe, la colère contre Israël est palpable, exacerbée par les images de destruction et les discours de résistance. Mais dans les palais officiels, la prudence domine. Les monarchies du Golfe, bien qu’hostiles à l’Iran et ayant normalisé leurs relations avec Israël pour certaines, ne souhaitent pas non plus une victoire israélienne éclatante qui renforcerait un bloc américano-israélien et pourrait déstabiliser leurs propres sociétés.
L’axe de la résistance (Iran, Hezbollah, milices irakiennes, Houthis) tente de capitaliser sur ce moment pour renforcer son narratif. Cependant, les grandes capitales arabes – Le Caire, Riyad, Abou Dhabi – n’adhèrent pas à l’idée d’un affrontement total, de peur que la guerre ne déborde sur leurs territoires, ne fragilise leurs économies et ne déstabilise davantage leurs régimes. La survie et la stabilité internes priment sur la solidarité symbolique.
Un Ordre Mondial Fragmenté et une Région au Bord du Chaos
La guerre entre Israël et l’Iran remet la logique de confrontation au centre du jeu international. Moins de diplomatie molle, plus de démonstration de force. Mais ce pari est risqué. En appuyant Israël sans conditions, Trump pourrait pousser l’Iran à des actions désespérées, voire à franchir le seuil nucléaire, avec des conséquences incalculables pour la stabilité globale.
L’Europe est marginalisée, la Russie et la Chine avancent leurs pions dans l’ombre, et le monde arabe se divise entre une solidarité populaire contrainte et des intérêts nationaux divergents. Ce conflit signe peut-être la fin définitive d’un ordre régional post-Guerre froide. Le Moyen-Orient entre dans une ère où la dissuasion mutuelle, ou du moins la peur d’une escalade incontrôlable, pourrait être la seule barrière entre une guerre totale et un chaos permanent. Tant que la religion, l’idéologie et la puissance nucléaire se mêleront au calcul stratégique, aucune paix durable ne sera possible dans cette région volatile.