Cela fait longtemps que ce sujet me trotte dans la tête, et cette image récemment capturée à la sortie d’un hôtel à la Mecque m’a finalement convaincu de l’écrire. Elle représente les valises d’un trio de jeunes femmes venues vivre leur première Omra… et qui n’ont manifestement pas résisté à l’appel du shopping. Ce cliché, au-delà de son aspect anecdotique, illustre une réalité bien plus profonde et partagée par de nombreux pèlerins marocains.
Lorsque l’on part pour l’Arabie Saoudite, que ce soit pour le Hajj ou l’Omra, on sait que le voyage sera à la fois spirituel et commercial. D’abord spirituel, bien sûr, puisque l’objectif principal est de se recueillir, de prier sur les lieux saints de l’Islam, de chercher la paix intérieure et de renouer avec sa foi. Mais une fois sur place, une autre réalité s’impose : celle de la tentation du commerce omniprésent, soigneusement intégré dans l’expérience du pèlerin.
La générosité marocaine mise à l’épreuve du souk
Le Marocain est généreux par nature, et il ne conçoit pas un retour du Hajj ou de l’Omra sans cadeaux pour ses proches. Cela commence par les parents, les frères, sœurs, neveux, nièces, oncles, tantes… puis s’étend aux amis, collègues de travail, voisins et parfois même au gardien de l’immeuble. Tout le monde compte. Le minimum syndical ? Un tapis de prière, un « tassabih », ou des dattes Ajwa — celles que consommait le Prophète Sidna Mohammed, paix et salut sur lui.
Dans les deux villes saintes, Médine et La Mecque, les galeries commerciales luxueuses et les centres commerciaux modernes jouxtent les lieux de culte, offrant une expérience de shopping à la fois accessible et sophistiquée. Dans ces espaces flamboyants aux allures de malls internationaux, les vitrines rivalisent d’élégance : tissus raffinés aux broderies délicates, parfums précieux d’ambre et d’oud vendus dans des flacons dorés, montres de créateurs, bijoux scintillants, vêtements traditionnels revisités avec goût, sans oublier toute une gamme d’objets religieux présentés avec soin. Les prix sont étudiés pour s’adapter à tous les budgets, allant du souvenir modeste aux cadeaux de luxe. Il devient alors difficile de résister à cette profusion d’offres. Ainsi, de nombreux pèlerins marocains repartent chacun avec minimum deux à trois valises bien remplies, à l’image de celles visibles sur la photo qui illustre cet article.
Omra : spiritualité sincère ou tourisme religieux rentable ?
Derrière ce comportement se cache une question plus profonde : le pèlerin marocain part-il pour se rapprocher de Dieu, ou pour faire le plein d’achat de cadeaux et de souvenirs ? Les deux ne sont pas incompatibles, mais il est évident que l’aspect commercial a pris une place considérable dans l’organisation du voyage. Et cela arrange bien l’Arabie Saoudite, qui a su transformer le pèlerinage en une industrie ultra rentable.
Ce tourisme religieux rapporte chaque année des milliards de dollars au royaume d’Arabie Saoudite. Il dépasse de très loin, en flux et en revenus, le tourisme que connaît un pays comme le Maroc, pourtant riche en histoire, en culture et en spiritualité. Là-bas, le croyant devient aussi consommateur, et la foi se mêle au commerce dans un équilibre que chacun justifie à sa façon.
Et si on revenait à l’essentiel ?
Ce constat ne vise pas à juger, mais à questionner. Il est légitime d’honorer ses proches en leur rapportant des présents bénis, mais peut-être faut-il aussi se rappeler que le plus beau cadeau qu’on puisse leur offrir… c’est notre propre transformation spirituelle. Celle qui ne rentre dans aucune valise, mais qui laisse une empreinte durable dans nos cœurs.
Par Abdelrhni Bensaid