Dans les grandes artères commerciales du Royaume, des malls huppés aux rues piétonnes populaires, un constat s’impose : les consommatrices marocaines, toutes générations confondues, plébiscitent majoritairement les marques de mode étrangères. Une préférence assumée, malgré l’émergence d’une poignée de marques locales talentueuses, qui peinent à renverser la vapeur.
Certaines enseignes marocaines, à l’image de Marwa, Diamantine ou Zyne, tentent de bousculer le paysage. Elles rivalisent parfois d’audace créative et affichent des prix compétitifs, souvent inférieurs à leurs homologues étrangers. Mais ces efforts, bien que réels, restent souvent noyés dans un environnement où l’étiquette européenne continue de briller comme un symbole de distinction sociale, de modernité, voire d’émancipation.
Des produits de qualité, mais une image faible
La qualité des tissus, le savoir-faire artisanal, et l’originalité des collections ne suffisent pas à inverser la tendance. Car le problème n’est pas tant le produit que l’image qu’il renvoie. Le « made in Morocco » souffre d’un déficit flagrant de stratégie marketing, de communication de marque et d’expérience client. Les consommatrices marocaines ne sont pas insensibles à l’origine du produit, mais elles veulent surtout acheter une vision, un style, une promesse — ce que les marques internationales savent parfaitement leur offrir.
L’absence d’un positionnement clair
Autre faiblesse majeure : le flou stratégique de nombreuses marques marocaines. Trop peu d’entre elles définissent clairement leur cible ou leur positionnement : mode haut de gamme ? accessible ? ethnique chic ? minimaliste ? Résultat : un message brouillé, des identités de marque faibles, et une clientèle qui hésite à s’engager.
Le rôle des influenceuses et des réseaux sociaux
Le terrain numérique est, lui aussi, occupé massivement par les marques étrangères. Les influenceuses marocaines, souvent rémunérées ou fournies par des marques internationales, alimentent ce biais. Elles posent avec des vêtements Zara, Mango, Bershka ou Shein, bien plus qu’avec des pièces locales. Les enseignes marocaines, en manque de budgets et de vision d’influence marketing, restent absentes de ce champ décisif pour les jeunes consommatrices.
Branding, design et storytelling : les grands oubliés
Même quand la qualité est au rendez-vous, le design des logos, le packaging, la présentation en boutique ou en ligne laissent parfois à désirer. L’expérience d’achat est encore trop souvent perçue comme “amatrice” face aux standards internationaux. À cela s’ajoute le manque de storytelling aspirationnel : peu de marques marocaines racontent une histoire forte, un univers inspirant. Elles vendent des produits là où les géants mondiaux vendent un rêve.
Un héritage culturel parfois mal assumé
Paradoxalement, l’identité marocaine, pourtant riche et précieuse, est encore trop peu intégrée dans les propositions stylistiques locales. Certaines clientes, notamment jeunes, veulent s’éloigner d’un imaginaire traditionnel perçu comme dépassé, sans pour autant trouver dans les marques locales une offre moderne mais enracinée. La mode marocaine gagnerait à revisiter ses racines de façon audacieuse, sans tomber dans le folklore ou la copie stérile des tendances occidentales.
Distribution, accessibilité et présence terrain
Enfin, la question de la distribution reste cruciale. Les marques internationales sont omniprésentes : malls, plateformes e-commerce, corners en magasins multimarques. À l’inverse, les marques marocaines manquent de visibilité dans les lieux clés, et leur présence en ligne reste souvent artisanale, sans logistique fluide ni expérience d’achat optimisée.
Un chantier à ouvrir : vers une nouvelle stratégie du « made in Morocco »
Selon un expert des tendances mode au Maroc, le défi n’est plus dans le produit, mais dans l’art de le vendre. Cela suppose une professionnalisation urgente dans des domaines aussi stratégiques que le marketing, le branding, l’événementiel et la communication digitale. Il est temps que les promoteurs du « made in Morocco » investissent autant dans leur image que dans leurs tissus.
Le succès ne viendra pas uniquement d’un bon modèle économique ou d’une jolie coupe : il viendra d’une vision. Et les marques marocaines ne manquent ni de talents, ni de ressources culturelles pour bâtir cette vision.
Par Salma Semmar