Ce qui n’était hier qu’une tendance marginale sur les réseaux sociaux est en passe de devenir une industrie parallèle à part entière. Sous couvert de notoriété et de « conseils beauté », certains influenceurs marocains s’improvisent désormais pharmaciens, promoteurs et distributeurs de produits prétendument miracles, sans la moindre autorisation ni compétence médicale. L’arrestation récente d’une influenceuse marocaine à l’aéroport Mohammed V de Casablanca jette une lumière crue sur un phénomène devenu aussi banal que dangereux.
Interpellée à son retour des Émirats arabes unis, la jeune femme, très suivie sur YouTube et Instagram, a été présentée devant le parquet du tribunal d’Inezgane. En cause : la promotion et la vente illégale de produits d’engraissement et de modelage corporel, soupçonnés d’être contrefaits, non conformes aux normes sanitaires, voire nocifs pour la santé. Elle est également accusée d’avoir apposé frauduleusement le logo de l’ONSSA sur ses marchandises, une accusation qu’elle réfute.
Des « laboratoires maison » sans diplôme
Derrière la vitrine glamour de ces comptes sociaux, se cachent parfois de véritables chaînes de production clandestines. D’après les éléments de l’enquête rapportés par Al Akhbar, une perquisition menée dans la boutique appartenant à l’influenceuse à Inezgane a révélé l’existence de préparations artisanales de substances destinées à modifier le corps, stockées et vendues comme s’il s’agissait de simples produits cosmétiques. Une employée présente sur place a été arrêtée, tandis que tous les produits ont été saisis.
L’image est saisissante : des laboratoires improvisés dans des appartements ou arrière-boutiques, où l’on fabrique des substances potentiellement dangereuses comme on préparerait des croissants. Sans autorisation, sans formation, sans contrôle. Et le tout, promu avec des codes marketing bien huilés, jouant sur les complexes, les standards esthétiques et la quête de résultats rapides.
Une impunité nourrie par la rentabilité
La vente de ces produits est extrêmement lucrative, portée par une demande en hausse constante, notamment chez les jeunes femmes influencées par des modèles irréalistes véhiculés en ligne. Le phénomène est alimenté par la facilité de diffusion via les réseaux sociaux : quelques vidéos virales, des stories aguicheuses, des promesses d’avant/après, et la marchandise est écoulée en un rien de temps.
Pourtant, les dangers sont réels : perturbateurs endocriniens, infections, réactions allergiques graves, voire empoisonnements. Une circulaire du ministère public, datée du 7 mai 2021, avait pourtant alerté les procureurs sur la nécessité de sévir contre la promotion et la vente illicite de produits pharmaceutiques. Mais sur le terrain, les pratiques persistent, s’étendent même, faute d’une réponse judiciaire systématique et visible.
Réseaux sociaux : le nouveau souk pharmaceutique
Les influenceurs sont devenus les nouveaux vecteurs de diffusion de ces substances : maquillage, produits amaigrissants, crèmes blanchissantes, poudres d’engraissement, ou encore miels ou produits prétendument aphrodisiaques vantés pour leurs effets sur la performance sexuelle masculine, tout s’écoule comme sur un marché parallèle. Les ventes se font par messagerie privée, les paiements par virement mobile, et la livraison par coursier. Les clients, souvent inconscients des risques sanitaires réels, achètent sur la base de likes, de promesses spectaculaires et de témoignages biaisés.
Cette affaire relance un débat crucial : où s’arrête la liberté de promouvoir, et où commence la mise en danger de la santé publique ? À l’heure où les influenceurs sont devenus des prescripteurs de consommation, la justice et les autorités sanitaires doivent imposer une ligne rouge. Il en va de la sécurité de milliers de jeunes consommateurs, souvent séduits par des solutions rapides à des problèmes complexes.
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