Un récent rapport met en lumière les défis majeurs entravant la mise en place effective du chantier de la protection sociale au Maroc. L’étude, menée par Ali Ghanbouri, président du Centre de Prospective Économique et Sociale, souligne notamment les pressions budgétaires croissantes, le poids de l’économie informelle et la nécessité d’un financement durable pour assurer la pérennité des programmes sociaux en cours.
Le rapport révèle que les engagements financiers liés aux programmes de soutien social ont atteint plus de 34 milliards de dirhams, répartis entre 18,54 milliards pour les aides sociales directes et 15,51 milliards pour le régime d’assurance maladie obligatoire. Une charge qui pèse lourdement sur les finances publiques, surtout dans un contexte marqué par un ralentissement économique et une baisse des recettes fiscales.
Un équilibre budgétaire menacé
L’auteur du rapport met en garde contre l’impact d’un financement exclusivement public, qui pourrait nuire à d’autres secteurs prioritaires tels que l’éducation, les infrastructures et la santé. Pour éviter des mesures drastiques comme une hausse des impôts ou une réduction des aides sociales, il recommande d’explorer des alternatives telles que l’augmentation de la contribution du secteur privé et l’optimisation de la collecte des cotisations sociales.
L’un des principaux obstacles identifiés réside dans le déséquilibre entre les recettes et les dépenses des régimes sociaux. Par exemple, le système de couverture maladie obligatoire a affiché un déficit de 450 millions de dirhams en 2023, avec un ratio dépenses/recettes atteignant 154 %. En 2024, ce même ratio s’élève déjà à 117 %, laissant présager un déficit encore plus conséquent en fin d’année.
L’économie informelle, un frein majeur
Le rapport souligne que l’économie informelle représente plus de 30 % du PIB et concerne près de 60 % de la population active. Cette situation complique l’élargissement de la couverture sociale, car de nombreux travailleurs non déclarés n’ont ni contrat de travail, ni revenus stables permettant de cotiser.
De plus, les faibles taux d’adhésion aux régimes sociaux aggravent le problème :
- Seuls 56 % des travailleurs indépendants ciblés sont inscrits à la couverture maladie obligatoire.
- Le taux de collecte des cotisations ne dépasse pas 37 %.
- Plus d’un million d’actifs restent en dehors du système en raison de couvertures alternatives via des mutuelles ou assurances privées.
Cette fragmentation des sources de financement alourdit encore plus le fardeau financier de l’État, accentuant les inégalités entre les secteurs formels et informels.
Vers des réformes urgentes et structurelles
Pour garantir la viabilité du projet de protection sociale, le rapport propose plusieurs pistes de réforme :
- Diversification des sources de financement, avec l’implication du secteur privé et la création de fonds d’investissement dédiés.
- Amélioration des mécanismes de collecte des cotisations sociales, afin de réduire l’évasion et maximiser les recettes.
- Meilleure identification des bénéficiaires, en révisant les critères d’éligibilité pour éviter les exclusions injustes et assurer une distribution plus équitable des aides.
- Intégration progressive de l’économie informelle, via des mesures incitatives et la simplification des démarches administratives.
Enfin, le rapport insiste sur la nécessité de stimuler la croissance économique et la création d’emplois durables, afin d’élargir la base des cotisants et réduire la dépendance aux subventions publiques.
Le Maroc fait face à un défi majeur : garantir un système de protection sociale viable tout en maintenant l’équilibre budgétaire. L’ampleur des besoins financiers impose une transformation profonde des mécanismes de financement et une modernisation des politiques publiques. Si des ajustements ne sont pas entrepris rapidement, le pays risque de devoir faire des choix difficiles, entre taxation accrue et réduction des aides sociales. La réussite de ce chantier dépendra de la capacité du gouvernement à concilier équité sociale et rigueur économique.
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