Depuis plusieurs jours, les jeunes de GenZ212 font entendre un cri qui traverse le pays. Un cri brut, parfois désordonné, souvent mal compris. Il n’est pas seulement politique : il touche plus profond, là où la société se sait malade sans trouver les mots — dans cette fatigue morale d’un peuple qui cherche à réconcilier sa foi, sa raison et sa dignité. Dans leurs pancartes, dans leurs chants, on lisait la même chose : une fatigue ancienne, un amour cabossé, une prière sans mosquée. Ce cri, on aurait pu le prendre pour une menace. Mais il ressemble davantage à un battement de cœur — celui d’un pays qui refuse de s’éteindre. Quand un corps crie, ce n’est pas qu’il se perd : c’est qu’il cherche à guérir.
Dans nos traditions, la morale n’a jamais été un code à réciter, mais un art du vivant.
Al-Ghazâlî disait : “Le corps, l’âme et l’intellect sont un royaume confié à l’homme : s’il en prend soin avec justice, il atteint la paix.”Ce royaume, aujourd’hui, chancelle.Nos écoles forment sans toujours éveiller.Nos hôpitaux soignent sans toujours soulager.Nos discours promettent sans toujours écouter.On a voulu bâtir des institutions solides, mais on a oublié d’y laisser passer la lumière.Et sans lumière, même les plus beaux murs deviennent des prisons.
Cette crise n’est pas un simple désordre : c’est une fièvre morale. Et la fièvre, dans un corps comme dans une société, n’est pas un ennemi : c’est le signe d’une vitalité qui résiste. Le Maroc ne brûle pas de haine ; il brûle de sens. La jeunesse ne veut pas casser ; elle veut comprendre et être entendue. Nos jeunes n’appellent pas à la rupture, ils rappellent une continuité : celle entre le soin du corps, la clarté de l’esprit et la justice du cœur. Ce qu’ils demandent, ce n’est pas une révolution : c’est une réintégration du sens.
Un acte peut paraître chaotique et naître d’une intention juste.La morale ne se mesure pas à la conformité extérieure, mais à la direction intérieure. Un cri dans la rue peut être une prière mal formulée. Avant de juger les gestes, il faut écouter les blessures. Les jeunes qui s’expriment aujourd’hui ne rejettent pas leur pays. Ils rappellent, à leur manière, que la foi sans dignité n’a pas de souffle et qu’aucune spiritualité ne grandit sur la honte ou la faim.
Entre la dignité humaine et la proximité du divin, l’islam trace une même ligne : servir l’homme, c’est déjà s’approcher de Dieu.Sous cet angle, la santé et l’éducation cessent d’être de simples « services publics » : elles redeviennent des actes de foi collective. Soigner, c’est honorer le corps confié par Dieu. Éduquer, c’est cultiver l’intelligence semée par Dieu. Une nation qui protège ces deux dimensions n’est pas dans la philanthropie : elle accomplit une mission. Quand ces piliers vacillent, c’est l’âme du pays qui se fissure.
Le mouvement GenZ212 mérite mieux que la répression: il mérite un espace d’écoute nationale. La peur, des deux côtés, rigidifie : les jeunes se braquent, l’État se ferme, la parole se couvre de soupçon.
La génération Z n’est pas en guerre contre ses aînés ; elle tend un miroir. Elle dit : aimez-nous assez pour nous écouter. Si nous savons répondre sans jugement, nous rendrons au Maroc ce qu’il a de plus précieux : le souffle d’une dignité partagée. Un peuple ne guérit pas en silence. Il guérit quand il recommence à se parler.
Par Dr Wadih Rhondali – Pyschiatre