Il vit reclus, muré dans le silence de sa propre maison, prisonnier d’une situation qu’il n’a ni voulue, ni provoquée. Lui, un homme d’affaires reconnu dans son secteur, habitué à diriger ses équipes, à se rendre sur les chantiers, à rencontrer ses clients et fournisseurs. Aujourd’hui, il n’est plus que l’ombre de lui-même, un homme recherché par la police, accusé de n’avoir pas honoré une dette de 1.600.000 dirhams. Une somme qui, en réalité, ne lui est redevable qu’en partie. Et pourtant, il paie le prix fort. Chaque jour.
Tout commence avec le décès d’un père. En mettant de l’ordre dans les affaires du défunt, son fils, désormais héritier, découvre dans un vieux coffre cinq chèques barrés, signés et non encaissés, pour un montant total de 1,6 million de dirhams. Ne comprenant pas la situation, il prend contact avec l’émetteur des chèques, un ancien client de son père. Ce dernier lui explique alors, preuves bancaires à l’appui, que quatre des cinq chèques ont déjà été réglés par virement, directement sur le compte du père, qui ne les avait jamais restitués ni annulés. Seul un chèque de 260.000 dirhams reste effectivement à solder.
Mais pour l’héritier, ce n’est pas une affaire de logique ou de justice : c’est une affaire de papiers. Il se contente de déposer les cinq chèques à l’encaissement et les présente au protêt, sans chercher à comprendre, sans prendre en compte les virements antérieurs. La machine judiciaire se met en route, froide, aveugle et implacable. Le nom de l’émetteur entre dans les bases de données de la police. Il est désormais officiellement recherché pour émission de chèques sans provision.
Ce n’est pas seulement sa liberté qui lui a été volée, c’est sa dignité d’homme et de citoyen. Lui qui dirigeait une entreprise, veillait sur ses équipes et construisait avec rigueur sa réputation, se retrouve à gérer son quotidien en clandestin, à distance, dans l’ombre, à éviter les appels, à repousser les rendez-vous, à vivre dans une crainte sourde et constante.
Il souffre en silence, rongé par l’injustice et l’absurdité d’un système qui, plutôt que de rechercher la vérité, applique mécaniquement des procédures. Un système qui, faute de discernement, confond dette réelle et dette apparente, preuve concrète et titre sans fondement. Ses tentatives pour faire entendre raison se heurtent à l’indifférence, et l’homme, en proie à la solitude, voit chaque jour s’éroder sa confiance dans la justice.
Conformément à l’article 314 du Code de commerce marocain, un chèque est un instrument de paiement et non de crédit, exigible à vue. Il doit être provisionné au moment de son émission, et son encaissement ne peut être refusé que pour défaut de provision. Ainsi, le porteur d’un chèque est en droit d’en exiger le paiement, même s’il a été réglé par d’autres moyens, tant que l’émetteur n’a pas récupéré le titre ou obtenu son annulation en bonne et due forme.
Ce drame humain, silencieux mais réel, n’est pas un cas isolé. Il interpelle. Et il appelle à une réforme urgente des mécanismes de traitement des litiges liés aux chèques, afin d’éviter que des innocents ne deviennent des fugitifs, que la présomption de bonne foi ne disparaisse sous le poids du papier.
Car derrière chaque nom inscrit sur une fiche de recherche, il y a une vie brisée, des responsabilités assumées malgré la peur, et une seule question qui revient en boucle : « Comment en suis-je arrivé là, alors que j’ai payé ? »
À vous qui lisez ces lignes, posez-vous cette question : combien de vos proches, ou peut-être vous-même, ont vécu ce genre d’injustice silencieuse ? Combien ont vu leur quotidien basculer à cause d’un chèque égaré, mal interprété, ou d’une procédure aveugle ? Le chèque sans provision n’est pas qu’un délit financier, il est trop souvent un piège administratif qui fauche des vies, des réputations, des équilibres familiaux.
Ce témoignage n’est pas un cri isolé : c’est celui de nombreux citoyens piégés par un système qui confond rigueur et rigidité. Il est temps de regarder en face cette réalité que beaucoup préfèrent taire, et d’ouvrir le débat sur une réforme nécessaire. Parce qu’au bout du compte, ce n’est pas seulement une signature sur un papier qui doit condamner un homme — mais la vérité qui doit le libérer.
Par Anas B. lecteur fidèle d’Actu-Maroc