Le Maroc, pays à l’histoire millénaire et à l’identité fortement enracinée, n’échappe pas à une dynamique sociale récurrente : celle de l’aspiration au départ. À en croire les dernières études du Haut-Commissariat au Plan (HCP) et les sondages réalisés par des organismes internationaux, près d’un jeune Marocain sur deux se dit prêt à quitter le pays si l’occasion se présente. Ce désir d’expatriation dépasse les contraintes économiques pour s’inscrire dans une quête profonde d’un avenir jugé meilleur ailleurs.
Chez les arabophones et les plus religieux, la destination privilégiée reste le Golfe, en particulier l’Arabie saoudite. L’idée de vivre sur la terre du Prophète, dans un environnement où les valeurs islamiques structurent le quotidien, séduit une frange qui voit dans l’expatriation une forme d’accomplissement spirituel autant que social.
Mais la destination la plus convoitée demeure encore et toujours l’Europe, notamment la France, l’Espagne, l’Allemagne et l’Italie. Malgré les politiques migratoires restrictives, la montée de l’extrême droite et les obstacles administratifs, l’Europe continue de symboliser un eldorado pour des milliers de jeunes Marocains. Le système universitaire européen, les aides sociales et un certain « modèle de vie occidentale » pèsent lourd dans la balance, même si la réalité est parfois bien moins idyllique.
À cela s’ajoute un phénomène sociologique puissant : l’effet d’entraînement. Nombreux sont les jeunes qui souhaitent partir non par projet structuré, mais parce que leurs amis, cousins ou voisins, longtemps au chômage ou dans la précarité, ont quitté le pays, puis sont revenus avec des voitures de luxe, de l’argent, et parfois même accompagnés de femmes étrangères. Ces retours spectaculaires créent un imaginaire collectif où l’étranger devient synonyme de réussite éclatante et de revanche sociale. L’envie de « faire comme les autres » alimente ainsi une spirale d’illusions, renforcée par les réseaux sociaux qui exposent des images embellies d’une vie à l’étranger.
Parallèlement, le Canada attire une part croissante des candidats à l’émigration. Le système de points, les programmes d’immigration légale et la présence d’une forte diaspora marocaine intégrée en font une destination rassurante, particulièrement prisée par les jeunes diplômés et les familles en quête de stabilité.
Plus minoritaire mais bien réelle, une autre vague regarde vers l’Asie. Japon, Corée du Sud ou Singapour attirent ceux qui rêvent d’innovation, de technologies de pointe et d’un quotidien discipliné mais moderne. Enfin, quelques rares profils audacieux s’orientent vers l’Australie ou certaines régions d’Afrique, souvent dans une logique entrepreneuriale ou d’aventure personnelle.
Mais au-delà de ces choix géographiques, l’envie de partir est aussi nourrie par une dimension symbolique de plus en plus forte. Pour de nombreux jeunes, l’expatriation représente un acte d’émancipation sociale, un moyen de « réussir » ailleurs quand les perspectives locales semblent figées. Dans certaines familles ou milieux, vivre à l’étranger devient un statut à part entière, une preuve d’ambition. Ce phénomène est encore plus marqué chez les femmes ou les profils en quête de liberté individuelle, souvent à la recherche d’un espace où exister autrement, hors des carcans sociétaux.
Ironie du sort : tandis que des milliers de Marocains rêvent d’ailleurs, le Royaume, lui, attire de plus en plus d’étrangers séduits par son climat, sa douceur de vivre, ses paysages variés et le faible coût de la vie. Mais cela, nombre de candidats au départ semblent l’oublier, guidés par une certitude tenace : l’herbe est toujours plus verte ailleurs.
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