Elle circule vite, s’insinue dans tous les cercles, s’enrichit à chaque transmission… La rumeur, ce mal social aussi ancien que la parole elle-même, connaît une seconde jeunesse à l’ère du numérique. Au Maroc, elle n’est plus une simple parole en l’air. Elle est devenue une arme de destruction psychologique, sociale, et même économique. Et malgré les garde-fous légaux, elle continue de faire des ravages.
Autrefois confinée aux conversations de café ou aux commérages de quartier, la rumeur se diffuse désormais sur les réseaux sociaux, dopée par les partages massifs, les vidéos déformées et les montages douteux. Facebook, TikTok, WhatsApp ou encore X (ex-Twitter) offrent à la rumeur une caisse de résonance sans précédent, aggravée par de nouvelles pratiques : diffamation publique, menaces, chantage, extorsion. Ce cocktail toxique constitue aujourd’hui un véritable défi pour les autorités.
Et le mal ne frappe pas que le citoyen lambda. Les institutions, les artistes, les journalistes et même les médias sérieux sont souvent ciblés. Des équipes dédiées passent ainsi leurs journées à démêler le vrai du faux dans un flux d’informations où la rapidité supplante la véracité. La viralité d’une rumeur peut aujourd’hui détruire une réputation en quelques heures. La réhabilitation, elle, prend parfois des années.
Une souffrance invisible mais bien réelle
Le drame se joue aussi en silence, derrière les écrans. De nombreuses victimes subissent des dégâts irréversibles : isolement, dépression, tentatives de suicide. Des vies brisées par un simple message anonyme ou une vidéo truquée. Les tribunaux croulent sous les plaintes liées à la propagation de fausses informations. Mais la justice, bien que mobilisée, peine à suivre le rythme.
Influenceurs, plateformes et vide éthique
À cela s’ajoute la responsabilité d’un nouveau maillon : les influenceurs et pseudo-journalistes. Certains d’entre eux, sans formation ni conscience professionnelle, n’hésitent pas à amplifier ou créer des rumeurs pour générer du clic et des revenus. Une pratique d’autant plus pernicieuse qu’elle échappe à toute régulation claire.
Et que dire des plateformes numériques ? Le Maroc, comme d’autres pays, souffre du manque de modération adaptée en darija ou en arabe. Les signalements tardent à être traités. Les comptes anonymes prolifèrent. Et les fausses informations restent parfois en ligne des jours entiers. Une coopération plus ferme entre l’État et ces géants du web devient indispensable.
L’éducation comme seule voie durable
Face à l’ampleur du phénomène, une seule réponse structurelle s’impose : l’éducation aux médias. Apprendre aux jeunes — dès l’école — à vérifier les sources, croiser les informations, reconnaître les manipulations… c’est là que se joue la véritable résistance. Car tant que la population reste vulnérable, la rumeur restera souveraine.