À l’ère des médecins TikTok et des vidéos générées par IA, la parole soignante reste coincée entre la déontologie et la crainte de « faire sa pub ». Pendant que les marques sculptent l’imaginaire, le soin chuchote. Et si communiquer devenait une mission de santé publique — sans paillettes ni promo, mais avec méthode et éthique ?
Pub ou pédagogie ? Mettons des mots sur les maux
On confond trop souvent la publicité, qui promet et incite, avec la communication de santé, qui informe, explique et met en garde. La première vise la conversion et se nourrit d’effets ; la seconde poursuit la compréhension, documente ses sources, expose ses incertitudes et refuse l’« avant/après » spectaculaire. L’enjeu n’est pas de capter mais d’éclairer : pas d’auto‑promotion ni d’appel commercial, et des contenus utiles, sourcés, datés, transparents — là où se joue l’attention publique.
Héritée d’une culture du secret protectrice, l’invisibilité a longtemps tenu lieu de vertu : « bon médecin, pas visible ». Cette réserve devient un handicap dans des espaces où dominent le court, l’émotionnel et le visuel. Des cliniciens compétents se taisent ou adoptent une parole désincarnée, tandis que le débat est accaparé par des comptes plus bruyants que rigoureux. L’enjeu n’est pas la gloire personnelle mais la sécurité des patients : laisser l’espace aux slogans, c’est accepter que l’algorithme prescrive à la place du clinicien.
Ce silence n’est pas qu’un choix individuel : il naît de la rencontre entre une culture de réserve et des plateformes optimisées pour la captation ; quand la première valorise la discrétion, les secondes récompensent le bruit. Le marché de l’attention s’impose ainsi comme troisième acteur du soin : il paie en dopamine, pas en preuves ; il impose ses formats et ses métriques, loin des critères cliniques — bénéfice, risque, traçabilité. L’info utile n’est pas toujours l’info qui buzz.
Un cadre commun, simple et exigeant
Plutôt que d’opposer parole et prudence, adoptons une boussole simple : intérêt public prioritaire ; messages vérifiables ; transparence des liens d’intérêts ; prudence sur les promesses ; traçabilité des mises à jour ; relecture collégiale pour les sujets sensibles. Il ne s’agit ni de faire taire ni de tout permettre, mais d’autoriser ce qui protège et d’interdire ce qui trompe. Une communication soignante n’appelle pas à l’acte, ne dénigre pas ; elle contextualise, explicite les risques, précise quand consulter et assume de dire « on ne sait pas encore ».
France / Maroc : même boussole, cadres distincts
En France, la communication au public est permise mais encadrée : présenter ses compétences et ses conditions d’exercice, diffuser des informations à visée éducative ou scientifique, à condition d’être honnête, loyale et non trompeuse. Les ordres posent des repères spécifiques pour les réseaux sociaux : exactitude, transparence, protection du public.Au Maroc, la publicité demeure interdite et l’expression publique encadrée : l’information au public est possible si elle protège le patient, respecte l’obligation de réserve et s’abstient de toute promotion personnelle. Dans les deux contextes, la boussole reste la même : rigueur, clarté, prudence.
Parler pour prévenir
Communiquer n’est pas coquetterie : c’est un soin de première ligne. Capsule courte qui clarifie un signe d’alerte, billet qui met en balance bénéfices et risques, direct où l’on répond aux questions : peu importe le format, pourvu qu’il soit sobre et sourcé, avec date de mise à jour et mention des limites. L’intention compte plus que l’habillage : réduire l’incertitude, non fabriquer du désir.
Le dilemme n’est pas « pub ou silence », mais pédagogie sous contrôle. Si la parole soignante devient un bien commun, balisé par des règles simples, on baisse le bruit, on monte le signal — et l’on soigne mieux. Quand les soignants cadrent le récit, la décision reste là où elle doit être : entre un patient informé et un clinicien responsable.
Par Dr Wadih Rhondali – Psychiatre










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