Depuis le début du mois de septembre 2023, le gouvernement a opéré un changement majeur dans la gestion des marchés publics. Fini les transactions directes, place à une centralisation des actions via une plateforme électronique spécialement dédiée aux bons de commande et aux marchés publics. Cette initiative, bien qu’appréciée pour son souci de modernisation et de transparence, soulève cependant une problématique majeure : celle de la qualité des services offerts.
Fonctionnement de la plateforme
Cette plateforme électronique propose différentes rubriques, allant des travaux divers, en passant par les fournitures de bureau, jusqu’à l’organisation d’événements. Pour avoir accès à ce nouveau système, les entreprises doivent formuler une demande en ligne afin d’obtenir un code spécifique octroyé par la Trésorerie Générale.
L’épineuse question des traiteurs
C’est principalement au niveau de la rubrique dédiée aux traiteurs que le bât blesse. Le système contraint l’administration à opter pour l’offre la moins chère, reléguant la qualité au second plan. La conséquence directe ? Une baisse drastique de la qualité des mets servis lors des réceptions administratives. Les retours sont unanimes : les organisateurs déplorent des produits presque immangeables par rapport à ce qu’ils avaient l’habitude de recevoir.
Un traiteur basé à Rabat offre un éclairage pertinent à ce sujet : pour proposer des offres à des prix aussi bas, il est inévitable de recourir à des produits de moindre qualité. Ainsi, plutôt que d’utiliser du beurre, certains optent pour la margarine. De la même manière, la crème fraîche de qualité, coûtant 75 dh le litre, est remplacée par une alternative chimique à seulement 18 dh le litre. « Pas de prix, pas de qualité », résume ce traiteur, soulignant l’incompatibilité entre des offres au rabais et la garantie d’une prestation haut de gamme.
Une menace réelle pour la santé publique
Il est crucial de souligner l’enjeu sanitaire qui découle de cette logique du moins disant. En effet, au-delà des critiques sur le goût et la qualité, c’est la santé même des participants d’un congrès ou d’un séminaire qui est en jeu. En choisissant systématiquement l’offre la moins coûteuse, on incite les traiteurs à se tourner vers des ingrédients de moindre qualité, voire douteuse. Qu’il s’agisse de viandes, de poissons ou de volailles, le risque d’opter pour des produits bas de gamme, mal conservés ou d’origine incertaine est réel. Cette situation pourrait inévitablement mener à des intoxications alimentaires à grande échelle, avec tout ce que cela implique comme conséquences potentiellement dramatiques. Il est donc impératif de traiter cette question non seulement comme un enjeu de qualité de service, mais aussi et surtout comme une question de santé publique. Cette alerte doit être prise au sérieux afin de garantir la sécurité et le bien-être de tous les invités.
Déviances et ruses : des responsables contournent le système
Face aux conséquences fâcheuses de la logique du « moins disant », certains responsables au sein des administrations semblent avoir trouvé des parades pour garantir une certaine qualité. Selon certaines indiscrétions, des responsables, conscient de la baisse drastique de la qualité des services lors des consultations, n’hésitent pas à donner des « tuyaux » aux traiteurs en qui ils ont confiance. Le subterfuge est simple mais efficace : gonfler artificiellement le nombre de convives dans l’offre, alors que, dans la réalité, seulement la moitié bénéficiera du service.
Ce stratagème permet aux traiteurs d’abaisser leurs prix unitaires, leur permettant ainsi de devenir plus compétitifs face à la concurrence. Mais le revers de la médaille est que, pour un même marché, le traiteur se voit en réalité rémunéré presque le double de ce qu’il aurait dû toucher pour le véritable nombre de participants. Une pratique qui, au-delà de son caractère éthiquement discutable, témoigne de l’urgence de repenser le système actuel pour éviter ces dérives.
« La dégradation de la qualité traiteur : le dilemme des organisateurs »
Témoignage d’un responsable d’administration, entre coûts réduits et qualité médiocre: « Depuis la mise en place de la nouvelle plateforme en ligne, nous avons constaté une baisse significative des prix des services traiteurs, de l’ordre de 40%. Cela pourrait sembler avantageux en première vue, mais la réalité est tout autre. En effet, chaque fois que nous organisons un séminaire et que nous sollicitons des services traiteur pour les pauses-café ou les déjeuners, nous sommes confrontés à des problèmes récurrents liés à la qualité des prestations. Les produits proposés sont loin de répondre à nos attentes. Nous nous retrouvons, par exemple, avec des viennoiseries qui coûtent à peine 50 centimes, dont l’origine et la qualité sont plus que douteuses. Pire encore, la nourriture servie est souvent si médiocre que nos participants ne parviennent même pas à la manger. En tant qu’organisateur et responsable de ces réceptions, c’est humiliant. On en vient à éviter le regard de nos invités, tant la situation est devenue inconfortable. Il est vraiment regrettable d’en arriver à un tel point. »
La vision d’un professionnel du métier de traiteur
Selon un expert du domaine traiteur, il est fondamental de comprendre que les prestations traiteur ne peuvent être réduites à une simple question de coût. « Le monde du traiteur est vaste et diversifié. Chaque traiteur opère avec une panoplie de produits, d’équipements et de personnel différents. Certains investissent massivement dans des ingrédients haut de gamme, des équipements de pointe et un personnel hautement qualifié et bien payé, tandis que d’autres peuvent avoir des approches différentes. C’est similaire à l’univers hôtelier : si l’objectif est de passer une nuit, il est évident que le coût et l’expérience dans un hôtel 5 étoiles seront très différents de ceux d’un hôtel 1 étoile. Opter systématiquement pour le moins cher est non seulement une méconnaissance de la réalité du métier, mais c’est aussi une mise en danger des convives. Je suis formellement convaincu que si cette tendance persiste, nous assisterons malheureusement à des cas d’intoxications lors de ces réceptions organisées avec le moins cher. Il est donc absurde de se baser uniquement sur le critère du ‘moins disant’ pour juger des prestations traiteur, tout comme il serait incohérent de comparer des hôtels uniquement sur leur prix. La Fédération des traiteurs doit prendre position et collaborer avec les responsables pour garantir que tous les acteurs de la profession puissent opérer dans des conditions équitables et transparentes, afin de proposer à leurs clients des prestations de qualité adaptées à leurs besoins ».
Une remise en question nécessaire
Ce cas de figure met en lumière l’importance de revoir les critères de sélection sur cette plateforme. Si la transparence et la modernisation des procédures sont des objectifs louables, il est essentiel que cela ne se fasse pas au détriment de la qualité des services offerts, surtout lorsqu’il s’agit de la santé et du bien-être des consommateurs.
L’administration est donc face à un défi de taille : comment concilier efficacité économique et garantie d’une qualité irréprochable ? Un débat qui promet d’être au cœur des discussions dans les mois à venir.