Si j’écris depuis des mois, ce n’est pas pour meubler nos timelines. J’écris parce qu’au Maroc, parler de santé mentale reste trop souvent un luxe, une honte, ou un tabou poli. J’écris pour que chacun puisse trouver une voix simple et accessible qui explique, démystifie, oriente. J’écris parce que l’urgence est là : ailleurs, on investit massivement, on déclare des “causes nationales”, on forme, on ouvre, on protège. Chez nous, la stratégie tarde, les besoins explosent, et les usages “sauvages” — y compris avec les IA — s’installent en silence.
Je ne veux pas opposer humains et technologies. J’ai moi-même écrit que l’IA ne nous sauvera pas, mais qu’elle peut nous aider à mieux vivre. Le danger n’est pas l’outil ; c’est l’exclusivité, la confusion et l’absence de filet humain. Quand un jeune parle de suicide à un chatbot au milieu de la nuit, sans qu’aucune main humaine ne se tende, c’est toute notre culture du soin qui vacille.
Et, soyons honnêtes : aujourd’hui, beaucoup d’entre nous vivent en équilibre instable, entre l’IA et des approches traditionnelles comme la rokya. On cherche du sens, du soin, de la présence — là où l’offre institutionnelle, structurée et engageante, manque encore de place, de chaleur, de portes ouvertes. Ce balancier dit une chose simple : quand l’espace public n’accueille pas, on se tourne vers ce qui répond — la machine, le rituel, ou le silence.
Pourquoi j’écris (encore)
Parce que je vois, chaque semaine, les files d’attente, l’exil intérieur, les familles épuisées, les soignants à bout. Parce que je vois aussi des trésors : des associations qui tiennent, des enseignants qui innovent, des imams, des infirmières, des psychologues et des pairs-aidants qui bricolent du sens avec presque rien. Et parce que je vois l’IA devenir, pour beaucoup, le seul espace “sûr” où déposer sa peine. Sans garde-fou, c’est une bombe à retardement.
Dix chantiers ouverts — matière pour notre futur Manifeste 2026-2030
- Zéro silence face à la crise – campagne nationale anti-stigma, des classes aux stades.
- Une porte d’entrée 24/7 – numéro gratuit d’écoute/orientation, tri clinique, passerelles urgences (19/141).
- Des lieux proches et accueillants – au moins un espace par province, sans rendez-vous, avec pairs-aidants.
- L’école qui prend soin – programme “compétences de vie & santé mentale”, formation des enseignants.
- Le soin remboursé et traçable – couverture des psychothérapies validées, annuaire public à jour.
- IA utile, jamais seule – outils multilingues, détection du risque, redirection et supervision humaine, transparence.
- Des soignants en nombre et en réseau – plan de formation/reconversion, supervision, prévention de l’épuisement.
- Un Observatoire national – données ouvertes, baromètre semestriel, carte des ressources et des délais.
- Prévenir, intervenir, réparer – protocoles pour suicides, crises, violences, addictions, et postvention.
- Ne laisser personne au bord – caravanes rurales, dispositifs diaspora, accueil sensible aux minorités.
On ne signe pas (encore). On se met autour de la table pour l’écrire.
On ouvre grand la porte : soignants, éducateurs, pairs-aidants, leaders religieux, chercheurs, juristes, designers de service, gens de la donnée/IA, associations, usagers — bref, toutes celles et ceux qui veulent avancer. On récolte ce qui existe déjà : témoignages, chiffres, petites cartes des ressources locales, retours du terrain (hôpital, école, entreprise, quartiers, monde rural).
Si ça marche, on élargit. Si ça coince, on ajuste. Le manifeste naîtra de ce mouvement-là — pas l’inverse.
Je continuerai à écrire — mais je préfère écrire avec vous : un texte qui engage, qui oblige, qui trace une trajectoire. Pas pour “faire joli”, pour changer des vies. Si tu t’y reconnais, rejoins-nous pour co-rédiger ce Manifeste marocain de la santé mentale. Qu’on puisse dire, dans quelques années : on n’a pas attendu que ça vienne d’ailleurs. On s’est mis debout, ensemble.
Merci à Actu-Maroc, qui a été le seul média marocain à accueillir ces textes — jugés parfois “peu vendeurs” ailleurs. Je ne citerai personne : l’important, c’est que la porte reste ouverte, et que cette cause devienne, enfin, une priorité partagée.
Par Dr Wadih Rhondali, psychiatre










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Bravo pour cette magnifique initiative d’une action collective responsable et solidaire contre l’isolement, la souffrance et la solitude !👍👏👏👏