Annoncée comme l’une des réformes sociales majeures de l’année 2025, la révision du Code de la famille marocain, plus connu sous le nom de Moudawana, semble aujourd’hui avoir perdu son élan. Près de vingt ans après sa dernière révision en 2004, ce chantier essentiel à l’égalité et à la justice sociale peine à franchir le cap du consensus, malgré la forte impulsion royale et les attentes croissantes d’une partie de la société.
Une réforme ambitieuse, mais confrontée à des blocages
La commission royale chargée de piloter cette révision avait été mise en place avec pour mission d’engager une large concertation avec les forces vives du pays : institutions religieuses, juristes, associations de la société civile et organisations féminines. Mais rapidement, les membres de cette instance ont dû se rendre à l’évidence : certaines propositions phares – pourtant conformes à l’esprit d’équité prôné par le Roi Mohammed VI – peinaient à s’imposer dans l’opinion publique, souvent en raison d’un conservatisme tenace ou d’une immaturité du débat social sur des sujets jugés sensibles.
Héritage, pension, garde d’enfants : les points de friction
Parmi les propositions ayant suscité le plus de polémiques et de tensions, figurent notamment l’égalité successorale entre hommes et femmes, l’automatisation du versement des pensions alimentaires, ou encore les conditions de garde des enfants en cas de divorce. Ces sujets, objets de fuites médiatiques, ont enflammé les réseaux sociaux, provoqué des fractures idéologiques et mis à nu la difficulté de réconcilier modernité juridique et sensibilités traditionnelles.
Un projet mis en pause, ou enterré ?
Alors que le projet semblait en bonne voie, il a brusquement marqué une pause, probablement pour éviter un passage en force dans une société marocaine toujours traversée par des inégalités structurelles et des résistances culturelles. Officiellement, rien n’a été abandonné. Mais le silence actuel, ajouté à l’absence de calendrier précis, laisse planer le doute sur la volonté politique de faire aboutir cette réforme dans un avenir proche.
Enjeux cruciaux pour l’avenir
Ce ralentissement soulève une interrogation fondamentale : la réforme du Code de la famille sera-t-elle le marqueur d’un Maroc tourné vers l’égalité, la justice et le progrès, ou restera-t-elle prisonnière d’un conservatisme paralysant ? Rappelons que cette initiative répond à une vision royale exprimée dès le discours du 30 juillet 2022, et qu’elle constitue un test majeur pour la société marocaine, tiraillée entre tradition et modernité.
Il faut espérer qu’il ne s’agit que d’une étape de réflexion temporaire, visant à mieux préparer le terrain pour un débat serein et structuré, afin de parvenir à un texte équilibré et consensuel. Le présent – et plus encore, l’avenir – ne peut se construire sans repenser les fondations du vivre-ensemble familial et sociétal au Maroc.
Un débat à élargir et des acteurs à intégrer
Pour mieux faire aboutir ce chantier structurant, il est crucial d’impliquer davantage les institutions religieuses, souvent silencieuses mais influentes dans les orientations finales, ainsi que la société civile féminine, dont les revendications sont trop souvent ignorées. Le contexte politique, marqué par une prudence électorale, pèse également sur le calendrier. Cette réforme ne saurait être déconnectée des réalités vécues par les femmes marocaines, notamment les mères divorcées en situation précaire. Il manque aussi un véritable débat parlementaire, ouvert et transparent, qui renforcerait la légitimité du texte. Enfin, les expériences d’autres pays musulmans réformateurs pourraient servir de référence, prouvant qu’il est possible de concilier respect du référentiel religieux et justice sociale.
Par Salma Semmar