La récente baisse spectaculaire du prix de la sardine au Maroc a mis en lumière un phénomène déjà bien connu, mais rarement aussi bien illustré : la flambée artificielle des prix due à la spéculation. Alors qu’il n’était pas rare de voir le kilogramme de sardines vendu à 15, 20 voire 25 dirhams, la démonstration d’un simple poissonnier, Abdelilah, a exposé la vérité au grand jour : la sardine peut bel et bien être vendue à 5 dirhams le kilo.
Dans un pays bénéficiant de 3 500 km de côtes bordées par l’Atlantique et la Méditerranée, ce poisson, autrefois qualifié de « poisson du pauvre », est pourtant devenu un produit de luxe pour de nombreuses familles marocaines. Comment expliquer cette envolée des prix si ce n’est par une chaîne d’intermédiaires incontrôlée, qui empile marges et profits avant d’atteindre le consommateur final ?
Une économie déconnectée des ressources du pays
Ce phénomène ne se limite pas à la sardine. La flambée des prix touche aussi les fruits, les légumes, la viande et l’huile d’olive. Le paradoxe est frappant : le Maroc est un pays agricole reconnu, premier exportateur en Europe de plusieurs produits agricoles, et pourtant, son propre peuple peine à se nourrir à des prix raisonnables.
L’huile d’olive, produit emblématique du Royaume, est devenue inaccessible pour de nombreux Marocains. La viande rouge, autrefois un produit couramment consommé, est désormais importée pour pallier une crise que les spéculateurs ont contribué à aggraver. Les consommateurs, eux, sont pris au piège d’un marché où les prix se doublent ou se triplent entre le producteur et le détaillant.
Abdelilah, symbole d’un Maroc en colère
En exposant publiquement les vrais prix de la sardine, Abdelilah est devenu, à son insu, un porte-voix des Marocains excédés. Ce jeune poissonnier a prouvé, avec des chiffres simples, que la flambée des prix n’est pas une fatalité. Son geste a fait écho à un ras-le-bol général, qui ne cesse de grandir face à un gouvernement incapable d’enrayer la dérive du marché et d’imposer une régulation stricte contre la spéculation.
Le roi Mohammed VI a pourtant donné des instructions claires : les Marocains doivent être les premiers à profiter des richesses de leur pays. Mais dans la réalité, cette directive se heurte à une déconnexion totale entre les ressources nationales et le pouvoir d’achat des citoyens. Alors que la richesse agricole et halieutique du Maroc permettrait de garantir une sécurité alimentaire à prix abordable, l’économie interne semble davantage servie par des intérêts privés que par le bien-être collectif.
Un séisme politique à l’aube du Ramadan ?
L’affaire Abdelilah n’en est qu’à ses débuts, et déjà, elle fait trembler tout le gouvernement. Ce simple poissonnier a mis en lumière les failles béantes du système économique marocain, exposant une réalité que la population refuse désormais d’ignorer. À l’approche du mois sacré de Ramadan, période de forte consommation, la colère gronde et menace d’exploser.
Le prix de la sardine à 5 dirhams est devenu bien plus qu’un simple chiffre : c’est le symbole d’un pays où les richesses existent, mais où la majorité peine à en bénéficier. Le pouvoir en place saura-t-il répondre aux attentes avant qu’il ne soit trop tard, ou assisterons-nous à une fronde populaire d’une ampleur inédite ?
Une Omerta qui Interroge
Face à cette crise grandissante, un silence demeure assourdissant : celui d’Aziz Akhannouch. Chef du gouvernement et ancien ministre de l’Agriculture et de la Pêche, il est pourtant au cœur du système qui régit ce marché sous tension. Pourquoi ne s’exprime-t-il pas sur cette flambée des prix qui étrangle les Marocains, alors qu’il connaît mieux que quiconque les rouages du secteur ?
Cette situation révèle-t-elle une incapacité à contrôler les spéculateurs ou, au contraire, une complaisance à leur égard ? Comment expliquer qu’un pays doté d’immenses ressources halieutiques et agricoles en arrive à un tel déséquilibre entre production et consommation ? Plus qu’un simple scandale autour de la sardine, l’affaire Abdelilah pose une question essentielle : qui profite réellement de ce système, et qui paiera le prix politique de cette crise ?
Par Salma Semmar
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