Annoncée en novembre 2023 par le roi Mohammed VI, l’Initiative Atlantique incarne une ambition géostratégique sans précédent : offrir un accès direct à l’océan Atlantique aux pays enclavés du Sahel – le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad – via le futur port de Dakhla, en cours de construction au sud du Royaume.
Cette initiative vise à transformer le désenclavement structurel de ces pays en un levier de développement économique. Le roi du Maroc l’affirme sans détour : « Ce projet transformera substantiellement l’économie de ces pays et de toute la région ». Au-delà de sa portée économique, le projet constitue également un outil de projection d’influence marocaine en Afrique de l’Ouest, au moment où la région est secouée par des changements de régime, une rupture avec l’Occident et un isolement régional croissant.
Dakhla, nouveau hub atlantique africain
Au cœur du projet : le port en eau profonde de Dakhla Atlantique, lancé en 2021 pour un budget estimé à 1,2 milliard d’euros. À fin juin 2025, 38 % du chantier sont achevés, avec une livraison prévue pour 2028. Ce port deviendra la porte d’entrée logistique et commerciale entre l’Atlantique et le Sahel, favorisant les échanges de marchandises, les corridors d’énergie et même les flux humains.
Entre rupture et réalignement : le contexte géopolitique
Le projet prend une ampleur particulière dans un contexte de recomposition géopolitique. Le Mali, le Burkina Faso et le Niger, réunis dans l’Alliance des États du Sahel (AES) depuis 2023, ont tourné le dos aux anciennes puissances coloniales et à la CEDEAO. Isolés diplomatiquement, ils se sont tournés vers des partenaires alternatifs, dont le Maroc.
En avril 2024, le ministre nigérien des Affaires étrangères, Bakary Yaou Sangaré, déclarait à Rabat :
« Le Maroc est l’un des tout premiers pays auprès de qui on a trouvé la compréhension, au moment où la CEDEAO et d’autres pays étaient sur le point de nous livrer la guerre ».
Cette proximité nouvelle entre Rabat et les régimes militaires sahéliens illustre le virage stratégique du Maroc : devenir un acteur pivot dans le « Sud global », en incarnant un modèle alternatif de partenariat basé sur la coopération Sud-Sud.
Faisabilité, financement et défis logistiques
Mais un projet d’une telle envergure soulève naturellement des questions. Son coût global pourrait avoisiner le milliard de dollars, selon l’Institut marocain d’intelligence stratégique (IMIS). Des pays partenaires comme les États-Unis, la France ou des États du Golfe pourraient participer à son financement.
Le projet doit encore franchir plusieurs étapes critiques :
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l’absence d’un réseau routier ou ferroviaire fonctionnel entre Dakhla et les pays sahéliens,
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un manque d’infrastructures logistiques locales,
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et une instabilité sécuritaire chronique dans la bande sahélienne.
Des progrès notables ont néanmoins été enregistrés. Une nouvelle route terrestre entre le Maroc et la Mauritanie est presque finalisée, selon Rida Lyammouri (Policy Center for the New South), ce qui devrait ouvrir la voie vers le Mali et au-delà.
Mais comme le souligne l’expert Abdelmalek Salaoui :
« Si vous avez des escarmouches, de facto, vos travaux s’arrêtent ».
Un projet pour peser sur la scène mondiale
L’Initiative Atlantique n’est pas qu’un projet économique : elle est le bras armé de la diplomatie proactive marocaine en Afrique. En tissant une alliance triangulaire entre l’Afrique, l’Europe et l’Atlantique, le Maroc entend valoriser son positionnement géographique unique, renforcer la centralité de son Sahara, et devenir un partenaire incontournable dans la nouvelle architecture du Sud global.
Le Maroc, là où la France et l’Algérie reculent, avance prudemment mais sûrement, avec pour boussole la stabilité, le commerce et la coopération africaine.