Des pans entiers du patrimoine marocain — objets archéologiques, manuscrits, pièces d’art populaire, éléments architecturaux — ont quitté clandestinement le territoire et dorment, loin des inventaires officiels, dans des collections privées ou des boutiques d’antiquités. Faute de stratégie globale de repérage et de récupération, ces trésors restent invisibles, dispersés, et parfois revendus sans trace.
Face à cette hémorragie, l’idée d’une fondation nationale pour la protection et la restitution du patrimoine s’impose. Sa mission : centraliser les signalements, constituer des bases de données photographiques, engager des actions en justice à l’étranger, mobiliser la diplomatie culturelle et, en amont, resserrer l’étau aux frontières par des contrôles spécialisés. Le marché attire collectionneurs peu scrupuleux et trafiquants aguerris : sans moyens dédiés, le pays joue perdant.
Or, comme pour la lutte contre la criminalité organisée, les milieux spécialisés disposent d’outils pour « savoir qui possède quoi et qui fait quoi ». Coopérations avec maisons de ventes, plateformes d’art, musées et réseaux d’experts, veille sur les catalogues et les ventes en ligne, marquage/traçabilité des pièces issues des fouilles légales : autant de leviers à systématiser. L’enjeu est de passer d’actions ponctuelles à une intelligence patrimoniale continue.
Le phénomène reste néanmoins sous-documenté. Conférences, audits et états des lieux manquent pour mesurer précisément l’ampleur des sorties illicites, cartographier les filières et définir des priorités : inventaires régionaux, numérisation, encadrement du commerce d’antiquités, renforcement des sanctions. Il faut aussi former des effectifs spécialisés (douanes, police judiciaire, magistrats, conservateurs) capables de reconnaître, qualifier et protéger les biens, du souk local jusqu’aux plateformes internationales.
Enfin, le rôle des médias demeure crucial. Trop rarement abordée, la question du vol patrimonial exige médiatisation et débat public pour créer une vigilance citoyenne et faire pression sur les circuits opaques. Car chaque pièce perdue est un fragment de mémoire collective qui s’efface. Inversement, chaque restitution répare un lien entre les générations et redonne sens aux lieux, aux savoirs, aux œuvres. Le temps d’une stratégie nationale cohérente n’est plus à discuter : il est à mettre en œuvre.
Par Mounir Ghazali