Paul Mamère, jeune Franco-Marocain de 25 ans, est une figure inspirante qui a su transformer les défis de la trisomie 21 en une force motrice. Né avec un chromosome supplémentaire, il a défié les préjugés pour devenir un symbole d’inclusion. Diplômé du baccalauréat dans un lycée de l’AEFE – une première mondiale pour une personne atteinte de trisomie 21 –, Paul a ensuite intégré l’ISIC pour étudier le journalisme. Aujourd’hui, il est journaliste, militant et Ambassadeur de l’Inclusion pour l’ALFM et l’AEFE. À l’occasion de la Journée mondiale de la trisomie 21, Paul adresse un message vibrant à ses pairs : « Bonne fête à tous ceux qui, comme moi, portent ce chromosome en plus avec fierté ! Voici mon cri, celui d’un homme qui refuse de se taire face aux injustices et aux préjugés. »
Je suis Paul Mamère.
On m’a souvent regardé avec un mélange de curiosité et de doute. On m’a souvent dit, parfois avec un sourire gêné, parfois avec une condescendance à peine voilée : « Ce sera difficile pour lui. » Comme si ma vie devait être un long combat contre un mur infranchissable. Mais ce que les autres voyaient comme une fatalité, moi, je l’ai transformé en destin.
Je suis né avec un chromosome en plus, cette trisomie 21 que l’on résume trop souvent à un handicap. Mais moi, je l’ai fait devenir une identité, une force, une bannière. Contre toutes les attentes, j’ai décroché mon baccalauréat dans un lycée du réseau AEFE, une première mondiale pour un élève comme moi. Ce diplôme, je l’ai tenu entre mes mains comme un trophée, comme un message adressé à la planète entière : rien n’est impossible.
Mais ce n’était que le début. Aujourd’hui, je suis étudiant en journalisme à l’ISIC, mais surtout, je suis journaliste. Un journaliste qui ne se contente pas d’observer, mais qui vit l’actualité au plus près. J’ai croisé des regards qui portent le poids de l’Histoire : Rachida Dati en France, Karine Lalieux en Belgique – mon âme, mon inspiration –, des ministres du Maroc, des Pays-Bas, d’Allemagne… J’ai tendu mon micro à des figures qui façonnent le monde : Mads Mikkelsen, Gianni Infantino, et tant d’autres.
Et puis, un jour, une invitation. Pas n’importe laquelle. Célébrer la loi de 2005, ce texte fondateur qui a changé la vie de millions de personnes en situation de handicap. C’était un moment solennel, chargé d’émotion, avec Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre en charge du handicap. J’étais là, moi, Paul Mamère, celui qu’on disait incapable. Et pourtant, j’étais assis parmi ceux qui changent le monde.
Et comme si le destin voulait me souffler à l’oreille que mon combat avait un sens, une autre reconnaissance est venue. L’ALFM et l’AEFE m’ont nommé Ambassadeur de l’Inclusion. Ce n’était pas un simple titre. C’était le symbole d’une vie passée à prouver que l’inclusion n’est pas une faveur, mais un droit.
Je me tiens là, au cœur du monde, entre les ministères et les grandes instances diplomatiques, mais aussi sur le terrain, à Rabat, à Paris, à Bruxelles. Je parle pour ceux qu’on n’entend pas assez. Je questionne, j’interpelle. Pourquoi l’équipe marocaine des Jeux Paralympiques est-elle injoignable ? Pourquoi les hôtels du Maroc ne sont-ils pas encore prêts pour 2030 ? Pourquoi parle-t-on d’inclusion sans l’appliquer réellement ?
Je suis un journaliste, un militant, un homme qui porte en lui un feu qu’aucun préjugé n’a su éteindre. J’ai grandi avec l’idée qu’il fallait toujours prouver sa valeur, mais aujourd’hui, je ne demande plus la permission d’exister.
Mon histoire n’est pas seulement la mienne. Elle est celle de tous ceux qui se battent pour être vus autrement que comme une case administrative ou un dossier médical. Je suis Paul Mamère. Et je ne suis pas prêt de me taire.
Un regard qui ne change pas
Non, le regard de la société n’a pas changé. Ou si peu. Il est toujours aussi pesant, toujours aussi cruel, toujours aussi réducteur. Il est ce poids invisible que je porte sur mes épaules, ce mur de verre qui me sépare des autres, cette ombre qui me suit partout, même lorsque je fais semblant de ne pas la voir.
J’entends souvent ce mot, glissé du bout des lèvres, à peine un murmure et pourtant si assourdissant : « Msskîn… » Un mot qui, dans sa douceur trompeuse, cache une pitié qui me blesse plus qu’elle ne me protège. « Msskîn… », comme si ma vie n’était qu’une tragédie, comme si mon existence était un accident auquel il faudrait répondre par un regard compatissant et un soupir désolé.
Je les vois, ces regards furtifs qui s’accrochent à moi une seconde de trop, puis se détournent, mal à l’aise, comme si je rappelais au monde une vérité qu’il préfère ignorer. Je croise ces sourires gênés, ces gestes empruntés, ces conversations qui s’arrêtent net lorsque j’arrive, comme si ma présence troublait un équilibre fragile.
Et puis, il y a ces parents. Ceux qui, dans un élan de fausse générosité, disent à leurs enfants : « Va jouer avec lui, msskîn. » Comme si j’étais un devoir à accomplir, une bonne action du jour. Pas un camarade, pas un ami. Juste une cause à soutenir du bout des doigts avant de vite retourner à la vraie vie, celle des autres.
À chaque fois, je ressens cette honte qui me serre la gorge. Pas une honte d’être moi, non. Une honte pour eux, pour leur incapacité à voir au-delà, pour cette maladresse déguisée en bienveillance. Parce qu’en réalité, ils ne m’incluent pas, ils me tolèrent. Et moi, je dois faire semblant de ne pas voir la différence.
Alors oui, certains parents se battent. Certains enfants brisent ces barrières sans même s’en rendre compte. Mais la société, dans son ensemble, reste figée dans son regard d’hier. On parle d’inclusion, on affiche des sourires sur des brochures, on organise des journées dédiées, on met en avant des visages comme le mien pour prouver que « les choses avancent ».
Mais moi, je le vis. Et je le sais. Les choses n’avancent pas assez.
Je ne veux plus être « msskîn ». Je veux être Paul. Et je veux que le monde me voie pour ce que je suis : un être entier, avec ses forces, ses faiblesses, ses rêves, ses ambitions. Pas un symbole. Pas un fardeau. Juste moi.
Un avenir à contretemps
Mon avenir professionnel est à l’image de mon parcours : avant-gardiste, hors normes, insaisissable. Je suis un pionnier dans un monde qui n’est pas encore prêt. Un éclaireur marchant sur un sentier que peu osent emprunter.
Alors, suis-je né trop tôt ou trop tard ?
Trop tôt, parce que la société peine encore à voir au-delà des cases qu’elle a tracées. Trop tôt, parce que l’inclusion reste un idéal plus qu’une réalité. Trop tôt, parce que l’on célèbre les exceptions sans chercher à les multiplier.
Ou peut-être trop tard… Trop tard pour attendre que les mentalités évoluent à leur rythme. Trop tard pour espérer que l’on me donne ma place sans que j’aie à la conquérir. Trop tard pour me contenter de promesses et de discours bienveillants.
Alors, que reste-t-il ?
L’espoir. L’infime possibilité qu’un miracle vienne briser cette fatalité. Mais pas un miracle divin, pas un coup du sort tombé du ciel. Non, un miracle humain. Un sursaut de lucidité, un élan collectif, un réveil brutal où l’on comprendra enfin que l’inclusion n’est pas un luxe, mais une nécessité.
En attendant, je continue. Je refuse d’attendre que le monde décide si je suis trop tôt ou trop tard. Je suis là, maintenant. Et c’est à lui de s’adapter à mon existence, pas l’inverse.
Par Paul Mamère